8h50 : L'agent de sécurité ouvre, enfin, le portail. Tout le monde se précipite dans la cour. Arrivés devant la porte d'entrée, les clients doivent se mettre en rangée de deux. 9h : La porte s'ouvre. Une course effrénée s'engage alors sur un parterre glissant. L'interminable et large comptoir de la caisse principale est pris d'assaut. En un clin d'œil, les fiches de versement et les retraits de chèque sont déposés à la queue leu-leu. Parmi les gens présents, il y a un très grand nombre d'adhérents au registre de commerce (on va les appeler amicalement les commerciaux), ceux qui viennent retirer de l'argent et, enfin, les autres venus déposer des pépètes sur leur compte (les pourvoyeurs de fonds). Le caissier arrive, enfin, l'incontournable tasse de café à la main. Il fait chauffer les machines (entendez par-là le système d'ordinateur), fait la bise aux collègues, échange avec eux quelques commentaires sur le match de la veille, prodigue des conseils à son voisin en délicatesse avec une écriture comptable. 9h30 : Les hostilités sont, enfin, déclenchées. Près de cent cinquante personnes dont votre serviteur. Trois chaises font office de salle de réception. Là, un petit calcul arithmétique s'impose. A raison de trois minutes par client (et on est bien gentil), il faut près de huit heures pour contenter tout le monde. Il va y avoir des dégâts ! Ce qu'a compris un commercial qui s'écrie : «Comment ça. Il n'y a qu'une seule caisse. C'est une honte. Où est le directeur ? Qu'on l'aille quérir !» Les premiers veinards à passer sont les commerciaux. 48 000 DA par fiche de versement (pour une copie à légaliser), c'est le tarif imposé par le CNRC. Un chéquard est appelé à la caisse : problème, il faudra qu'il attende. La banque ne dispose pas de liquidités. Le caissier étouffe. Il demande aux gens collés au comptoir de suivre des yeux le cheminement de leurs documents, de se disperser. Ces derniers s'exécutent, reculent de deux ou trois pas pour mieux revenir ensuite. L'autre, le pote du directeur, ne décolère toujours pas. Il continue de râler. Au comptoir, le «chéquard» commence à montrer des signes d'impatience. Affolé, l'agent de sécurité consulte les fiches. Il balaie du regard les montants insignifiants. Soudain, son visage s'illumine : un pourvoyeur de fonds va opérer un versement très conséquent. D'un geste de la main, magnanime, il rassure le chéquard. 12h : C'est l'heure de la pause. 13h : Le caissier revient avec la deuxième tasse de café de la journée. Il rechauffe les machines puis les versements et les retraits continuent. Une bonne centaine depuis le matin. 15h30 : C'est le scénario catastrophe. Le caissier plie bagages. Incrédule, un commercial, lui demande : «Qu'est-ce qui se passe ?» Le préposé répond : «C'est la caisse. Et l'autre qui n'en démord pas : «Qu'est-ce qu'elle a la caisse ? «Il faut qu'on l'arrête», lui signifie-t-on. Pour la bonne cinquantaine qui reste, et je vous fait grâce des retardataires, circulez il n'y rien à voir. Un commercial plus hardi que les autres propose : «Puisque vendredi et samedi, c'est repos, et si l'on laissait en l'état pour dimanche l'ordre des versements ? Comme ça on va sauvegarder notre place, nous qui attendons depuis ce matin ?» Raisonnement logique. Seulement l'agent de sécurité soucieux de ne pas s'attirer les foudres de son directeur, lui rétorque : «Le règlement ne l'autorise pas. Les habitants des contrées les plus éloignées de la wilaya (Ouled Attia, Oued Zhor, Ouldja Boulballout Collo), qui ont fait des centaines de kilomètres pour rien, sortent de la banque, dépités, conjurant le mauvais sort et l'incurie des services publics. Voilà les avatars d'une journée que j'ai vécue personnellement avec des gens venus pour la législation d'une simple copie de leur registre du commerce.