La bombe israélienne Pressée d'un côté par les stratèges du Pentagone qui veulent à tout prix sortir du bourbier de l'Irak et de l'Afghanistan et de l'autre par ses alliés arabes qui lui reprochent sa passivité dans le dossier palestinien, considéré à juste titre comme le point de fixation essentiel de toutes les contradictions et de toutes les frustrations dont se nourrissent les violences qui ravagent le Moyen-Orient, l'administration Obama a sans doute raison de prendre au sérieux la question palestinienne. Mais sous la pression de lobbies influents dans les domaines de la politique et de la communication publiques, la lecture que fait cette administration du conflit israélo-palestinien reste d'un simplisme infantile : à entendre les proches du président Obama, la solution de la question palestinienne est rendue difficile en raison essentiellement de l'intransigeance des «durs» des deux côtés ! Si, pour la droite israélienne, il suffit de la pression américaine, pour les «durs» du Hamas et du Djihad islamique palestiniens, sans parler du Hezbollah libanais et son allié syrien, Washington ne pourrait les «modérer» ou les neutraliser le cas échéant que si elle coupait ce qui est supposé être leur système nerveux central : l'Iran. La dernière escalade diplomatique américaine contre l'Iran apparaît sous cet angle assez logique. Le problème dans cette lecture américaine est qu'elle fait fi de la véritable bombe qu'il s'agit de désamorcer avant qu'elle ne fasse exploser avec elle l'ensemble d'une région pourtant vitale pour le système mondial. Avant de s'inquiéter de la virtuelle bombe iranienne, les Américains auraient été mieux avisés de rechercher avec plus de sérieux et de profondeur les raisons qui ont fait échouer toutes les étapes diplomatiques censées mener à la paix depuis Madrid et Oslo. La question palestinienne, dont l'administration américaine reconnaît pourtant la centralité dans l'architecture des conflits qui minent le Moyen-Orient, ne date pas de 1979, année de la «révolution islamique» iranienne. Le problème palestinien existe bien avant cette date. Ce problème existe parce qu'il existe un problème qui s'appelle Israël. Réduire l'intransigeance des composantes nationales de la résistance palestinienne qui refusent d'abdiquer les droits nationaux légitimes de leur peuple à une «manipulation» syrienne ou iranienne relève d'une analyse schématique. Le principal pourvoyeur de résistants palestiniens, c'est l'Etat colonial israélien lui-même. Non content d'exister au mépris de la géographie et de l'histoire au détriment d'un peuple qui a été chassé de chez lui par la force, l'Etat colonial d'Israël ne cesse depuis la conférence de Madrid (1991) et celle d'Oslo (1993) de torpiller le processus de paix américain qui est pourtant loin de lui être fatal en s'acharnant chaque année à réduire la superficie de ce qui pourrait devenir un jour un territoire palestinien indépendant jusqu'à lui enlever pratiquement toute viabilité géographique et économique. Jusqu'à ce jour, cette politique odieuse et vicieuse continue devant une communauté internationale impuissante. Comme un enfant gâté auquel les parents n'ont jamais envoyé un signal fort que les choses peuvent sérieusement changer s'il continue dans ses turpitudes, Israël constitue par sa politique de colonisation criminelle une bombe sociale ambulante. Cette bombe menace y compris la crédibilité et les intérêts stratégiques des Etats-Unis dans cette région du monde. Mais cette bombe, qui a déjà laissé des traces indélébiles dans le corps meurtri du peuple palestinien, menace l'ensemble des peuples de la région d'une conflagration généralisée qui viendra s'ajouter au calvaire quotidien des peuples qui ont déjà goûté aux guerres «civilisatrices» américaines. Calculs et perspectives Croire que la neutralisation de l'Iran et de la Syrie — à supposer que les Etats-Unis arrivent à atteindre cet objectif — suffira à obliger les Palestiniens à accepter n'importe quelle solution négociée constitue non seulement une faute morale mais aussi et surtout une erreur stratégique flagrante. Israël peut se cacher derrière son mur de la honte, il peut enfermer les Palestiniens dans un territoire exigu qui ressemble de plus en plus à une prison en plein air, il peut compter sur la lâcheté des régimes arabes corrompus, mais jusqu'à quand pourra-t-il défier les réalités démographiques et historiques de toute une région ? Avec ou sans l'Iran, avec ou sans le Hamas, la bombe israélienne continuera de menacer la région parce que le colonialisme israélien, comme tout colonialisme, est tout simplement une matière sociale inflammable. Si les Américains semblent «aimer» ce qui leur arrive en Irak et en Afghanistan alors que, selon leurs propres aveux, ni l'Iran ni la Syrie ne semblent jouer un rôle actif dans ces conflits, qu'en sera-t-il demain lorsque, poussés dos au mur, tous les protagonistes de la région se verraient contraints de s'unir et de défendre chèrement leur peau contre l'ennemi commun israélo-américain ? Tout au long du XXe siècle, l'Orient a cherché à survivre aux agressions impérialistes en mettant en oeuvre des formes variées de résistance. Les Etats de la région, produits d'un processus complexe de résistance et de compromis, ont montré plus d'une fois leur impuissance à répondre aux aspirations nationales et sociales de leurs peuples respectifs. Même si elle finirait par avoir lieu, la neutralisation de l'Iran et de la Syrie à laquelle s'attelle manifestement l'Amérique risque d'enlever aux peuples arabes tout espoir de pouvoir s'appuyer sur des Etats en vue de défendre leur intégrité et leur dignité bafouées. Cette neutralisation risque même de précipiter la disqualification historique de l'Etat-nation dans cette région du monde. Les peuples arabes et musulmans, à commencer par le peuple palestinien, seront contraints de rechercher d'autres formes de résistance et de lutte pour faire valoir leurs droits fondamentaux à la liberté, à la justice et au développement durable. La société civile est appelée à voir son rôle et ses multiples formes de résistance non violente prendre une importance stratégique considérable. Rien ne permet de conclure que la résistance civile des sociétés arabes sera moins radicale quant au fond ou moins efficace quant aux résultats que les différentes formes de résistance politique et militaire tentées jusque-là avec le soutien de la Syrie et de l'Iran. Cette perspective ne pourra que conforter les mouvements de solidarité avec le peuple palestinien, à travers le monde, dans leur action civile et démocratique visant à imposer un boycott international de l'apartheid israélien. Les calculs stratégiques israélo-américains apparaîtront, de plus en plus clairement, comme des calculs à courte vue. (Suite et fin)