Si l'on en parle, c'est parce que tout le monde aujourd'hui s'est laissé emporter par la télévision, l'ordinateur, le rêve d'aller vivre au Canada ou en Australie au point d'ignorer la beauté de nos sites. Il ne faut pas jeter la pierre aux jeunes car on ne leur a pas appris à aimer leur pays, à peiner pour mériter un salaire, une récompense. On leur a enseigné la haine, la mise à l'index des autres. Ainsi, ceux qui ont vécu pleinement à la campagne ont appris à apprécier la beauté de notre nature, à respirer à pleins poumons l'air vivifiant de nos champs à la manière de nos fellahs. Un cadre de vie, un théâtre dans tous ses états Un couscous chauffé sur un feu de menu bois et consommé au milieu d'un champ, à l'heure du repas, ne peut que vous marquer à vie. On en garde de vifs souvenirs pour l'appétit qu'il suscite, la force qu'il donne avant d'entreprendre un travail de force : piocher, couper du bois, labourer, débroussailler, semer, tailler, greffer, planter ; bref, toutes les activités récurrentes dans une vie de fellah. Il fut un temps où, l'esprit d'émulation aidant, chacun essayait de faire du mieux qu'il pouvait pour avoir, au moment des récoltes, de meilleurs rendements. Au lieu de se jalouser, les participants comme dans un théâtre, rivalisaient d'ardeur pour apporter la preuve que la quantité et la qualité des fruits du travail sont proportionnels aux efforts fournis et à l'amour de la terre. Quiconque travaille bien son champ, sait ce qu'il peut attendre de lui en échange. Il a aussi bien ancré en lui l'idée que nous sommes issus de la terre qui nous nourrit et que tôt ou tard, chacun y retournera. Chaque éleveur doué pour ce genre d'activité aime d'un amour intense sa terre qui fournit à son bétail l'herbe abondante dont il a besoin et prie sans cesse Dieu pour qu'elle reste fertile, généreuse, belle lorsqu'elle a bien absorbé une quantité d'eau de pluie suffisante. C'est pourquoi, l'on entend chaque jour, ici ou là, un berger parlant à la terre, la remerciant d'apporter la nourriture quotidienne aux chèvres et aux brebis pour qu'elles donnent du lait, aux agneaux et aux chevaux pour grandir et devenir à leur tour des adultes utiles à l'homme. Que de fois avons-nous entendu un berger parler à ses vaches qui semblent l'écouter d'une oreille attentive, ses propos exprimant la reconnaissance, l'affection ! Mais le vrai monologue dans les champs et toujours prononcé à haute voix selon des formule rituelles transmises de père en fils, c'est celui du laboureur parlant à ses bœufs lorsqu'ils tracent les sillons à l'aide de charrue traditionnelle qu'ils doivent tirer sous peine de recevoir des coups d'aiguillon. «Titre par là, règle ta marche sur celle de ton frère» dit le laboureur à un des bœufs réunis par deux qu'on appelle une paire. Le laboureur, contrairement à ce qu'on peut penser, est un travailleur de la terre, très méthodique dans sa tâche, talentueux dans ses propos adressés à ses bœufs. Entre lui et ses deux bêtes, des liens affectifs semblent s'être tissés au fil des années. Pendant toute la durée des labours, une pluie de bonnes paroles ponctuées de sermons sont adressés aux bœufs qui, à leur tout, répondent par leur comportement. Un espace de rencontre, des thérapies Les champs sont des espaces de rencontres intéressantes. Les bergers se lient d'amitié avec les laboureurs, quand ils ne se disputent pas pour des chèvres qu'on a laissées grimper sur les arbres fruitiers en fleurs, pour un troupeau qui a brouté l'herbe d'un champ d'orge ou de blé. Il y en a même qu'en viennent aux mains. A ce sujet, que d'anecdotes drôles ont été racontées ! On a rapporté qu'un fellah a frappé un autre avec un gros manche de cognée, sous le prétexte que ce dernier a laissé rentrer son âne dans la propriété du premier. Mais souvent, lorsque toutes les catégories de travailleurs font preuve de compréhension, il y a entente et rencontres fructueuses. D'un côté, ou de l'autre on fait part de ses craintes ou déboires de la vie avec le souci de trouver des âmes compatissantes. Cela soulage et encourage à travailler. Mais détrompez-vous ! On vous parle des fellahs d'antan. Il n'y en a plus aujourd'hui de cette trempe car ils savaient aussi, en plus de leur longue expérience en agriculture traditionnelle, joindre l'utile à l'agréable. Ils avaient appris à produire du miel en élevant des abeilles, et connaissaient les oiseaux. L'un d'entre eux affirmaient-ils, apparaissaient à partir d'avril par son cri qui disait : «débarrasse-toi de la laine, habille-toi légèrement». Ils parlaient beaucoup des désagréments causés par la coucou, oiseau qui pond ses œufs dans les nids des autres, incapable qu'il est de faire le sien. D'après eux, le coucou excite les grosses mouches bleues et suceuses de sang des chevaux, pour les pousser à aller piquer les bœufs et les rendre immaîtrisables au point de lancer des ruades et de partir à travers champs en se détachant du joug, après avoir gravement endommagé toute la charrue. Et comme les abeilles qui fécondent toute la végétation qui couvre la terre, il existe des familles de mouches sans lesquelles des variétés d'arbres fruitiers deviendraient stériles, nous ont appris les fellahs ayant acquis une longue expérience.