A l'origine du conflit, il y a la Question d'Orient posée par le déclin de l'Empire ottoman qui menace l'équilibre de l'Europe. Depuis la fin du XVIIIe siècle, la Russie cherchait à profiter de cette situation pour accroître son influence dans les Balkans et pour arracher aux Turcs le contrôle des détroits entre la mer Noire et la mer Méditerranée. Après leur victoire dans la guerre russo-turque (1828-1829) et surtout après le traité d'Hünkär-Iskelessi (1833), les Russes essayèrent d'établir à leur seul profit un protectorat sur l'Empire ottoman. La Question d'Orient Pour le Royaume-Uni et la France, une mainmise russe sur les détroits menaçait directement leurs intérêts au Moyen-Orient. En outre, une grande partie de l'élite politique et intellectuelle, en France comme au Royaume-Uni, méprisait la Russie et la considérait comme un Etat despotique, ennemi du libéralisme. L'Autriche, en dépit de la longue tradition de coopération diplomatique qu'elle entretenait avec la Russie, commença à s'inquiéter, elle-aussi, de son influence grandissante dans les Balkans. En Origine de la guerre Au début des années 1850, le tsar Nicolas Ier pensait étendre l'influence de la Russie en intervenant dans les affaires turques. Il croyait à tort que le gouvernement britannique s'associerait à un partage des territoires des Balkans contrôlés par les Turcs. L'intervention russe fut provoquée par un conflit entre catholiques et orthodoxes concernant la protection des lieux saints en Palestine, qui appartenaient alors à l'Empire ottoman. En décembre 1852, le sultan ottoman, sous la pression de Napoléon III, se prononça en faveur des catholiques. Nicolas Ier, le protecteur de l'Eglise orthodoxe, envoya aussitôt une mission à Constantinople pour négocier un nouvel accord en faveur des orthodoxes et un traité garantissant leurs droits dans l'Empire ottoman. Parallèlement, au cours de négociations officieuses avec l'ambassadeur britannique en Russie, le tsar évoqua la possibilité d'un partage des Balkans et d'une occupation russe «temporaire» de Constantinople et des détroits ; ce qui correspondait à proposer un démembrement de l'Empire ottoman au Royaume-Uni, favorable à l'unité turque face à l'expansionnisme russe. L'ambassadeur britannique à Constantinople persuada les Turcs de s'opposer aux exigences de reconnaissance d'une forme de protectorat russe sur les chrétiens orthodoxes, car elles représentaient une menace pour leur souveraineté. Le 1er juillet 1853, les Russes ripostèrent en occupant les principautés turques de Moldavie et de Valachie. Les puissances européennes essayèrent d'arriver à un compromis, mais sans succès. Le 4 octobre, assuré des soutiens français et britannique, l'Empire ottoman déclara la guerre à la Russie. Le conflit armé Le 30 novembre 1853, les Russes détruisirent la flotte turque dans la mer Noire, ce qui souleva un tollé général au Royaume-Uni et en France. En mars 1854, comme la Russie voulait ignorer les demandes britanniques et françaises d'évacuation de la Moldavie et de la Valachie, le Royaume-Uni et la France déclarèrent la guerre à la Russie, croyant que leur suprématie navale leur permettrait de remporter rapidement la victoire. Le 3 juin, l'Autriche, restée neutre sous la pression des Etats allemands, menace de déclarer la guerre à son tour, à moins que la Russie n'évacue la Moldavie et la Valachie. La Russie s'exécute le 5 août et les troupes autrichiennes occupèrent les principautés. Le royaume italien de Sardaigne rejoignit le camp des alliés en janvier 1855. Les alliés décidèrent de mener une campagne contre Sébastopol, quartier général de la flotte russe en mer Noire. Les armées françaises et britanniques débarquèrent le 14 septembre 1854. En dépit de victoires coûteuses sur les Russes, la guerre de tranchées s'éternisa, les Russes refusant d'accepter les conditions de paix des alliés. Sébastopol tomba le 8 septembre 1855. Mais la Russie n'accepta de faire la paix que lorsque l'Autriche menaça d'entrer en guerre. Le traité de Paris, signé le 30 mars 1856, fut un échec cuisant pour la politique russe au Moyen-Orient. La Russie dut rendre la Bessarabie du Sud et l'embouchure du Danube à l'Empire ottoman dont l'indépendance et l'intégrité territoriales furent réaffirmées ; la Moldavie, la Valachie et la Serbie furent placées sous garantie internationale et non plus sous protectorat russe. Le sultan se limita à de vagues promesses concernant le respect des droits de tous ses sujets chrétiens et il fut défendu aux Russes de garder leur flotte dans la mer Noire, désormais, interdite à tout navire de guerre. Conclusions et leçons En termes militaires, cette guerre, marquée par la puissance de feu, fut mal organisée et inutilement coûteuse. Les commandements dans les deux camps se révélèrent être totalement inefficaces, gaspillant des vies humaines dans des combats inutiles. Le ravitaillement en nourriture, vêtements et munitions des deux armées fut entravé par l'inefficacité et la corruption, quant aux services médicaux, ils étaient épouvantables. Les épidémies (choléra) firent plus de ravages que les blessures au combat. Toutefois, pour la première fois des anesthésiques en chirurgie ont été utilisés. Une autre innovation de cette guerre fut l'emploi du télégraphe. Quoi qu'il en soit, la guerre de Crimée représente un tournant dans l'évolution de l'équilibre européen. Elle marqua la fin de la «Sainte-Alliance» par laquelle les vainqueurs des guerres napoléoniennes avaient réussi à maintenir la paix en Europe depuis quarante ans. Le mythe de la puissance russe s'effrondra. La désintégration de la vieille coalition permit à l'Allemagne et à l'Italie de se libérer de l'influence autrichienne et devenir des nations indépendantes au cours des années qui suivirent. Enfin, le choc de la défaite de Crimée fut le catalyseur de très importantes réformes sociales lancées par Alexandre II en Russie. L'Empire français de Napoléon III, quant à lui, tira un prestige considérable de cette guerre sur la scène européenne.