En Angleterre, par exemple, les mouvements humanitaires, qui ont fait supprimer la traite dès 1807, obtiennent l'abolition de l'esclavage en 1833. Des doctrinaires répandent l'idée que les colonies sont une charge et qu'il faut admettre leur émancipation (ils ne songent, il est vrai, qu'aux colonies «blanches» et non aux peuples de couleur), ce qui acheminera les esprits vers la création du premier dominion, au Canada, en 1867. Les défenseurs des positions humanitaires en France Dans ce royaume, émergent Tocqueville ou Victor Schoelcher (qui obtiendra l'abolition de l'esclavage en 1848), et des adversaires de la colonisation, comme A. Desjobert, qui combattent les «algéristes», mais leur audience est moins étendue. Malgré ce fort courant hostile à la colonisation, celle-ci s'est poursuivie, et on a pu parler de «colonisation anticolonialiste». Cela s'explique, dans tous les cas, par l'impossibilité d'abandonner l'action entreprise : «Nous sommes coincés dans le chêne que nous avons fendu» (G. Smith).Pour la France, outre les préoccupations religieuses et la détermination de quelques marins et militaires, le souci politique de ne pas s'effacer (la grandeur nationale) et la croyance à la supériorité de notre civilisation (le thème de la «mission civilisatrice»). De nouveau, l'expansion coloniale Le résultat sera que l'Angleterre entreprendra la colonisation de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, fera pénétrer son influence dans les territoires intérieurs de l'Afrique du Sud, implantera ses missionnaires et ses commerçants en Afrique occidentale, défendra énergiquement l'Inde contre la révolte des cipayes (1857). Par les accords de 1815, elle a déjà obtenu le cap de Bonne-Espérance, l'île de Malte – base précieuse, surtout après l'ouverture du canal de Suez (1869) –, l'île Maurice, les Seychelles, points de surveillance sur la route des Indes, et elle s'est installée à Singapour en 1819, à Hongkong en 1842, en Birmanie en 1852, affirmant ainsi sa volonté de contrôler la plus grande partie des marchés asiatiques. Elle se contente d'une occupation des côtes et des comptoirs, négociant avec les chefs de l'intérieur des traités de protectorat, parfois éphémères. De son côté, la France achèvera la conquête de l'Algérie, poussant son action vers le Sahara, s'établira solidement en Afrique noire (Faidherbe au Sénégal), obtiendra des bases dans l'océan Indien, et surtout en Océanie, occupera par la force la Cochinchine (1867). L'heure de l'impérialisme agressif allait sonner. «Un mouvement irrésistible… » Les thèmes de l'impérialisme militant ont été longuement développés par des écrivains ou par les hommes d'Etat qui dirigèrent le mouvement impérialiste, tels Disraeli, Joseph Chamberlain, Jules Ferry, Eugène Etienne (1844-1921), Crispi, Léopold II, Théodore Roosevelt. Il s'agit de «civiliser les races inférieures» (J. Ferry) en assumant le «fardeau de l'homme blanc» (R. Kipling), mais aussi d'éviter toute politique de «recueillement» qui serait le chemin de la décadence, de se ménager des points d'appui pour la flotte, de trouver des débouchés et des fournisseurs de matières premières, de placer des capitaux ou de favoriser l'émigration. Jules Ferry a clairement énoncé les nouvelles règles du jeu : «Un mouvement irrésistible emporte les grandes nations européennes à la conquête de terres nouvelles. C'est comme un immense steeple-chase sur la route de l'inconnu. De 1815 à 1850, l'Europe était casanière et ne sortait guère de chez elle. C'était l'époque des annexions modestes et à petits coups, des conquêtes bourgeoises et parcimonieuses. Aujourd'hui ce sont des continents que l'on annexe. La politique coloniale est une manifestation internationale des lois éternelles de la concurrence.»Diversité des modes d'exploitation Les méthodes les plus diverses seront employées. Les grandes compagnies réapparaissent sous des formes diverses : sociétés d'exploitation du Congo français, compagnies à charte britanniques (comme la Royal Niger Company ou la British South Africa Chartered), sociétés du Cameroun et du Sud-Ouest africain allemands, l'Association internationale du Congo. La pratique de l'Indirect Rule par les Britanniques implique le concours des chefs indigènes, mais toutes les puissances coloniales rivalisent dans la signature de traités de protectorat, en Afrique noire surtout. Souvent, cependant, dans les colonies françaises en particulier, l'administration directe l'emporte avec un contrôle étroit de l'Etat, qu'il s'agisse de la politique dite «d'assimilation» (de caractère essentiellement administratif) ou «d'association». Dans certains cas, néanmoins, l'impérialisme ne s'accompagne pas d'une prise de possession, mais d'une domination indirecte (Chine, Iran, Amérique du Sud). Le partage (1884) Entre 1850 et 1870, l'Afrique centrale et méridionale est parcourue, d'un océan à l'autre, par de nombreuses expéditions. Le fleuve Congo retient particulièrement l'attention. De 1874 à 1877, Stanley en identifie le cours pour le compte du roi des Belges, Léopold II ; il va poursuivre son exploration dans le bassin du fleuve jusqu'en 1890. La France, de son côté, envoie Savorgnan de Brazza, entre 1875 et 1880, reconnaître les cours de l'Ogooué et du bas Congo. En Afrique comme en Asie, la tension internationale devient si forte que Bismarck, tard venu dans la course aux colonies, convoque à Berlin, en 1884-1885, une conférence internationale chargée de définir les principes juridiques de la colonisation nouvelle. Berlin donne une existence légale à l'Etat indépendant du Congo, propriété privée du roi des Belges; la conférence établit aussi le principe de la libre circulation des personnes et des biens sur les grands fleuves d'Afrique : cette clause ne sera jamais respectée. Mais, décision la plus lourde de conséquences, aucun pays ne peut désormais revendiquer la possession d'un territoire en se contentant d'en occuper la côte : il va falloir conquérir les pays convoités. Les guerres coloniales et le partage de l'Asie et de l'Afrique vont résulter, pendant les trente années qui suivent, de l'application de cette décision. Les heurts entre pays européens sont violents ; ils les opposent loin de l'Europe, qui connaît, de ce fait, une paix relative. Les principaux adversaires, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, s'affrontent sur tous les terrains; l'Allemagne, l'Italie, le Portugal jouent aussi leur rôle. La conclusion d'accords de partage permet la réconciliation des adversaires: Britanniques et Français se rapprochent en 1904, Russes et Britanniques en 1907 ; la voie est ouverte pour la Triple-Entente, qui va opposer ces trois pays au bloc des empires centraux (Autriche, Allemagne, Hongrie, Italie).