Henri Proglio, le patron d'EDF, n'a décidément pas de chance. Les obstacles à ses ambitions de toute puissance, notamment nucléaire, se multiplient. Après son différent violent avec Anne Lauvergeon, la patronne d'Areva, le voilà confronté à la stratégie de GDF Suez et de son patron Gérard Mestrallet. Le 10 août, le groupe GDF Suez a annoncé l'acquisition du britannique International Power. Grâce à ce seul rapprochement, le groupe énergétique va peser 30% plus lourd. Une opération à environ 20 milliards d'euros qui devrait être finalisée à la fin de l'année. GDF Suez va surtout changer de dimension hors d'Europe, car le rapprochement concerne avant tout sa division GDF Suez Energie International qui opère hors du continent. C'est cette division qui va être fusionnée avec International Power. La nouvelle entité disposera d'une capacité de production électrique de 66 GW (gigawatts) pour un total du nouveau groupe GDF-Suez de 107 GW. Une plateforme à l'international A titre de comparaison, la capacité totale d'EDF est de l'ordre de 170 GW, dont 63 GW dans le nucléaire français (avec les 58 tranches réparties sur 19 sites auxquels). Ainsi, le nouveau GDF Suez demeurera moins puissant dans l'électricité que le groupe EDF. Mais à elle seule, la future entité New International Power disposera d'une capacité de production d'électricité comparable à celle d'EDF en France, répartie en Amérique latine et Amérique du Nord, au Moyen-Orient en Asie et en Australie. Autrement dit, pour conquérir de nouveaux marchés à l'étranger, New International Power peut devenir une plateforme qu'il serait maladroit de négliger. Réintégrer GDF Suez dans le meccano nucléaire ? Pourquoi cette comparaison ? Dans son rapport sur «L'avenir de la filière française du nucléaire civil» remis à la mi-juin, François Roussely préconise sans surprise de confier le leadership du secteur à EDF notamment pour répondre aux appels d'offres internationaux. Cette préconisation crée une hiérarchie dans le partenariat stratégique entre EDF (dont François Roussely fut président) et Areva. Elle donne la suprématie comme le voulait l'Elysée à Henri Proglio. Elle a été avalisée par le Conseil de politique nucléaire du 27 juillet. Outre qu'Areva perd de son indépendance pour commercialiser ses centrales, le rapport Roussely et le Conseil ont quasiment fait l'impasse sur GDF Suez, exclu du schéma. Une façon de signifier à Gérard Mestrallet que son groupe ne sera pas concerné par les réponses françaises aux appels d'offres internationaux dans le nucléaire, puisque son concurrent EDF présidé par Henri Proglio jouera les chefs de file. Conformément à la recette qui fit son succès après les chocs pétroliers des années 70, la filière nucléaire française serait animée par des entreprises publiques. Certes, GDF Suez n'exploite que 7 centrales nucléaires en Belgique. Malgré tout, s'il est vrai que la moitié de la production électrique du groupe (hors International Power) provient de centrales au gaz, 17% sont fournies par le nucléaire. Et cela depuis plusieurs décennies. GDF Suez dispose donc d'une expérience dans le nucléaire. Mais surtout, avec l'apport d'International Power, le futur groupe GDF Suez dispose d'une couverture internationale plus étendue que celle d'EDF. Et ses implantations pourraient se révéler fort appréciables pour ouvrir les portes de certains marchés émergents – les plus prometteurs en matière de demande énergétique – au nucléaire français. Priorité à l'efficacité Les cartes, toutefois, ne sont pas encore rebattues. Après tout, Areva avait choisi de s'appuyer sur GDF Suez et Total pour répondre à l'appel d'offres lancé par Abou Dhabi, considérant que leur connaissance de l'émirat (GDF Suez à travers le gaz, Total par le pétrole) constituait un avantage pour la proposition française. Mais finalement, celle-ci fut rejetée au bénéfice de l'offre coréenne concurrente… malgré l'appui d'EDF en fin de course. Bien sûr, la stratégie de partenariat d'Areva fut abondamment critiquée, ce qui permettait d'affaiblir la position de sa présidente Anne Lauvergeon face à Henri Proglio. En réalité, les raisons de l'échec doivent être recherchées ailleurs, dans le manque de compétitivité de l'offre française et les difficultés rencontrées en Finlande et en France dans la construction de l'EPR, et non dans le choix des partenaires d'Areva.