Comme un cycle, chaque année le printemps du croyant s'annonce. Tant attendu, mélange de crainte et d'espoir, Ramadhân, le seigneur des cœurs, se fait désirer. Et nul doute n'étreint le croyant qui, sereinement, se prépare à affronter son âme. Mais, comme chaque année, litanie de notre décadence, le même problème surgit, bémol non souhaité en la symphonie de nos espérances : Quand débutera ce mois béni ? Qui décide ? Comment ? Comment savoir qui dit vrai ? Que devoir faire ? Mouton de Panurge ou dindon de la farce ? Quitte à être «politiquement incorrect» je courrais le risque d'être «islamiquement» correct et n'ajouterais donc pas un couplet à la ritournelle à succès qui chaque année avant Ramadhân caracole en tête du box-office : «Si tous les musulmans du monde faisaient l'iftâr ensemble… » Ce concert de bonnes intentions est, certes, louable, cependant, il est du devoir des musulmans, non pas de rêver leur religion, mais bien d'essayer de comprendre les objectifs de Dieu à l'égard de sa créature. La question se doit donc d'être traitée par l'étude du Coran et de la Sunna et non en fonction de l'atmosphère ambiante. Avant toute chose nous rappellerons que les quatre grandes Ecoles juridiques s'accordent sur un point primordial : «La détermination du mois de Ramadhân repose sur l'observation visuelle du premier croissant dès lors que le mois de Sha‘bân a atteint 29 jours.» L'essentiel en cette définition est « l'observation visuelle du croissant, «al hilâ», principe fondé a priori sur les textes coraniques et hadistiques. Notre recherche en ces deux articles reposera par conséquent sur l'étude des dites sources ainsi que sur l'analyse des argument de ceux qui, à présent, militent pour, d'une part, le «jeûne universel» et, d'autre part, pour la suprématie du calcul astronomique théorique, eux aussi prétendant s'en référer au Coran et à la Sunna. -Sur Oumma l'an passé, et cette année à nouveau, Nidhal Guessoum a parfaitement abordé le sujet sous son aspect scientifique en nous présentant des cartes de visibilité du croissant, ou «hilâl». La problématique est simple : il est possible d'un point de vue astronomique de déterminer la non possibilité pour telle ou telle zone d'observer le croissant. Conséquemment, prétendre avoir vu le croissant avant même que cela ne soit théoriquement possible relève de la supercherie et de la manipulation, au minimum d'une incompétence certaine. La possibilité d'observation du «hilâl» dépend par la suite des conditions où se trouve l'observateur mais, là aussi, certains pays qui devraient voir ce croissant le déclarent invisible. Les mêmes soupçons que précédemment peuvent être retenus. M. Guessoum soulignait que la possibilité d'accord entre les divers pays dits musulmans dépendait des avis des ulémas quant à la possibilité d'un jeûne «universel» et quant à la validation de Ramadhân par le calcul sans observation de visu. Etant entendu qu'il n' y a aucun consensus sur ces points, bien au contraire, les démonstrations des scientifiques, dès lors qu'ils se trouvent en déléguer aux doctes, ou pire encore aux politiques, ne résolvent donc en rien la situation. Telle est la limite de cet exercice. - Fort justement, Khalîd Chraïbi, toujours sur Oumma, aborde en conséquence la difficulté «juridique». Il signale tout d'abord avec précision les fantaisies dont «nos» dirigeants» nous gratifient régulièrement. L'avancée scientifique quant à la non possibilité d'observation du hilal fonctionnant alors comme un couperet qui, s'il n'était pas purement réduit à la dialectique, ferait tomber bien des têtes ! En toute lucidité, il s'affronte ensuite à la jurisprudence et postule à la suite de certains ulémas qu'il est tout a fait possible et même souhaitable que les pays musulmans débutent leur jeûne ensemble en s'accordant au calcul astronomique. Reculer pour mieux sauter, mais dans le vide… car l'on ne peut guère imaginer que ces pays, pour la plupart en état de déliquescence avancée, puissent s'accorder en un élan d'islamique communion. Mais, qui plus est, un postulat, d'aussi bonne intention soit-il, n'est en rien une démonstration et nous allons en discuter. Telle est la limite de cet exercice. Malgré leurs louables efforts, nos deux collègues n'effaceront donc pas une double réalité, celle du droit musulman et celle de la politique, ici comme ailleurs. Nous n'aurons donc pas prétention de réaliser l'exploit de l'impossible, et encore moins de dicter à chacun ce qu'il doit faire. Mais, essayerons-nous tout du moins d'éclaircir certaines contrevérités qui nous sont régulièrement assénées au point de faire illusion. Notre seul objectif est que chacun puisse connaître le fond du débat qui, en réalité, est fort simple et n'est en rien scientifique, l'Islam étant la religion de tous les musulmans et non pas celle d'une caste savante, Dieu nous a proposé des principes clairs et aisément compréhensibles. Ainsi donc, parce que l'Islam est une religion de textes, nous présenterons le point de vue du Coran et de la Sunna qui, en cette affaire, semblent de moins en moins objectivement et réellement pris en compte. Mais, auparavant, la chimère, ici technologique et politique, semblant avoir pris le pas sur les principes simples et intangibles de l'Islam, nous pouvons envisager la validité rhétorique du jeûne universel… Du jeûne universel 1- Du point de vue conceptuel ; que tous les musulmans du monde jeûnent en même temps. Lorsqu'une idée au lieu d'être simple est un simplisme, l'on nomme cela un slogan. L'argument est prôné en tête par l'Arabie saoudite et son clergé dévoué à la cause de la domination du wahhabisme sur le monde. Dépositaires de notre Kaâba, ils se voudraient maîtres de Ramadhân ; et que toute la Oumma, comme un seul homme, se range sous leur bannière ; légitimation d'une usurpation. Cette mondialisation panislamique fut reprise et répercutée par la majorité des partis islamiques, puis des Etats, qui, jusqu'au fond de nos campagnes firent mugir la sirène de l'union et des lendemains triomphants. Convergence d'intérêts donc ; chacun s'invite à la table de l'autre. Telle est la réalité politique du concept d'unification dans le jeûne qui, plus gravement, n'est qu'une adultération de l'unification par le jeûne ! 2- D'un point de vue rationnel ; à moins de penser que la terre est plate, l'idée d'un jeune commun est parfaitement saugrenue. Si la terre est ronde chacun sait qu'il fait jour ici, et nuit là-bas. En d'autres termes, certains font l'iftâr pendant que d'autres le sahûr ! 3- D'un point de vue technique ; l'on affirme, domination du quantitatif sur le qualitatif, que le Prophète (QSSSL), et Dieu en tant que Législateur j'imagine aussi, ne disposaient pas des moyens de communication nécessaires pour uniformiser le jeûne. Il est donc possible depuis l'avènement technologique de réaliser ce que le Prophète (QSSSL) et Dieu auraient sûrement souhaité. Ce serait donc par défaut que Dieu et Son Prophète (QSSSL) auraient statué sur les modalités de détermination de Ramadhân ! L'observation de la lune, cette muse de poètes et de bergers, ce calendrier des pauvres, est ainsi définitivement ringardisée. L'on affirme alors que ce «progrès» est sous-entendu et sous-tendu par le Hadîth, nous y reviendrons en l'article à suivre. 4- D'un point de vue pratique ; à titre de démonstration l'on répète à l'envi que du temps du Prophète (QSSSL) il n'était pas possible d'unifier le jeûne et que la question par conséquent reste ouverte. Aux générations P C, je rappellerais qu'un pigeon voyageur peut parcourir 100 kilomètres en une heure et qu'un réseau de messagerie ainsi constitué permettait de transporter une information sur plus de mille kilomètres en une nuit. Distance bien supérieure à l'influence réelle des divers Etats califaux qui, quoique maîtres en l'art colombophile, ne songèrent pas pour autant à faire jeûner leurs sujets à l'heure de Baghdad. Le pigeon, la lune, que voilà les musulmans relégués au Moyen-Age ! Un adepte tendance branché sur le Net peut, lui, savoir aussi rapidement que le djinn de Salomon ce qui se passe ailleurs et, miracle numérique, il assiste alors à la multiplication des croissants ! C'est que l'homme, lui, n'évolue pas, et que, jusqu'à la fin des temps, il cherchera la division pour le pouvoir. A l'heure du réseau, la détermination de Ramadhân est un enjeu politico-religieux et non point la recherche, visage tourné au ciel, de l'annonce du Mois de Miséricorde. (A suivre)