C'est ainsi qu'à travers un très long cheminement et par pragmatisme, la femme a fini par «comprendre» et percer le secret de cette activité productive, en travaillant la terre, qu'est l'agriculture. Cela avait permis aux hommes de se nourrir en plus des ressources que lui procuraient les anciennes méthodes pour se procurer la nourriture, outre la chasse, la pêche et la cueillette. Cette évolution et celle des techniques du travail de la terre ont duré des siècles à partir de l'ère néolithique (vers le VIIIe siècle avant J.-C.) jusqu'à son essor dans les premières, et brillantes, civilisations humaines, notamment en Mésopotamie, en Egypte et en Inde. Trois conditions étaient réunies : une terre fertile, un climat favorable, les eaux de grands fleuves (Nil, Tigre et Euphrate), sans oublier, bien sûr, le labeur des hommes. Chacun sait que la brillante civilisation pharaonique était intimement liée à la surproduction agricole permise par l'irrigation de l'étroite vallée et les crues du Nil. «L'Egypte, don du Nil», avait écrit le grand géographe et voyageur grec Hérodote au VIe siècle avant J.-C. en visitant le pays dont il remarqua la prospérité agricole et le degré de civilisation, la première du monde. Le même processus était connu en Mésopotamie, qui, avec l'Egypte, connaissait jusqu'à trois récoltes par an, dégageant, ainsi, des surplus de richesses qui furent engagés dans la construction de villes, de monuments colossaux, de tombeaux, de l'infrastructure générale et d'arriver, enfin, à la découverte de… l'écriture (hiéroglyphe et cunéiforme). Puis, l'agriculture se répandit peu à peu dans les autres contrées, en Asie, en Afrique et en Europe au cours des siècles suivants. L'Europe occidentale, elle, fut soumise à des cycles où s'enchaînent expansion démographique, développement des cultures, appauvrissement de l'alimentation des populations par suite d'une augmentation de sa composante céréalière, sensibilité accrue à la mauvaise qualité des récoltes, famines, effondrement démographique, essor des friches et de l'économie pastorale, amélioration de l'alimentation qui devient de plus en plus carnée, et, enfin, un nouvel accroissement de la population qui entraîne le redéploiement des cultures. De l'empire romain à l'empire carolingien Durant le Haut-Empire romain (Ier-IIe siècles), la prospérité agricole gagne la plupart des provinces romaines d'Orient et d'Occident. Les grands greniers de l'empire, qui procurent l'annone, c'est-à-dire l'impôt en blé destiné à ravitailler le peuple et l'armée de Rome, se développent en Afrique du Nord (Numidie, Mauritanie césarienne), en Sicile et en Egypte. En Gaule, le vignoble, culture spéculative, enrichit le pays de Bordeaux et les côtes du Languedoc. Cette prospérité se maintiendra plus ou moins dans l'empire romain d'Occident, et ce jusqu'au IVe siècle. Mais avec les grandes invasions du Ve siècle, le commerce s'éteint, les villes déclinèrent. Le peuple vivait difficilement : il se nourrissait de bouillies et de galettes à base d'orge ou d'avoine, de châtaignes et de glands, et souffre de rachitisme et de caries dentaires et la mortalité infantile était très forte. Des épidémies, comme la peste venant de Byzance, dite peste justinienne (du nom de l'empereur Justinien), qui gagna la Gaule du sud au milieu du VIe siècle, enlèvent des bras pour les travaux agricoles. Les famines apparaissaient, favorisant à leur tour la mortalité. Les friches s'étendent, laissées en pâture aux troupeaux de porcs. A l'époque carolingienne encore, les grands domaines ne constituaient que des îlots cultivés au milieu d'espaces vides. Le XIe siècle fut marqué en Europe Occidentale par un essor démographique qui se poursuivra jusqu'à la fin du XIIIe siècle. Ainsi, entre 1086 et 1346, la population de l'Angleterre tripla, passant de 1 million à plus de 3,5 millions d'habitants. Il s'ensuit un formidable essor rural marqué par de grands défrichements en Ile-de-France, en Flandre, en Angleterre, en Lombardie et en Allemagne Orientale. Les façons culturales restent, pourtant, rudimentaires, tel l'écobuage qui consiste à gratter superficiellement le sol et à le fertiliser avec des cendres et les engrais animaux ou végétaux insuffisants. Les rendements, qui ont, pourtant, doublé entre l'époque carolingienne et le XIIIe siècle, ne permettaient pas de dépasser le seuil de subsistance pour une population devenue trop nombreuse. Pour se nourrir, les plus pauvres devaient se contenter de soupe claire et de pain de seigle et prenaient rarement des laitages et des fruits. A la fin du XIIIe siècle, les défrichements s'arrêtèrent presque partout dans le Vieux Continent. Un engrenage, qui va durer jusqu'au milieu du XVe siècle, se mit en place. Des pluies diluviennes et des hivers trop longs et trop rudes entraînèrent, ainsi, de mauvaises récoltes, une hausse des prix des produits disponibles et, pour les plus démunis, la famine et une mortalité accrue. A cela, s'ajoutèrent de graves maladies provoquées par la consommation de céréales gâtées, car stockées trop longtemps par spéculation, et, à partir du milieu du XIVe siècle, la peste noire fit rage. Beaucoup de villages furent désertés et les champs cultivés régressaient de plus en plus. L'alimentation, pourtant, se diversifia avec l'essor des légumineuses (haricots, pois, lentilles, etc.) et, surtout, de l'élevage bovin dans ce continent vert, qui prend une place considérable dans des pays comme la Hongrie ou le Danemark. Les bouchers de nombreuses villes européennes passaient des contrats avec des paysans pour assurer l'engraissement de troupeaux de boeufs à proximité des murailles des villes. Dans certaines cités, la consommation moyenne de viande de boucherie avait atteint, à la fin du XVe siècle, un niveau qui ne sera retrouvé que dans le dernier quart du XIXe siècle. Puis, à partir du XVIe siècle, l'essor démographique reprit. Il s'ensuivit la dépécoration (vieux mot qui signifie bête, animal) progressive de l'alimentation au profit des céréales. De terribles disettes marquèrent encore le XVIIe siècle, notamment celles de 1630 à 1632 et de 1660 à 1661, et le début du XVIIIe siècle, celle de 1709 à 1710. Des transformations radicales à partir du XIXe siècle La révolution agricole, commencée timidement en Europe à la fin du XVIIIe siècle sous la houlette d'aristocrates éclairés inspirés par l'exemple anglais, se développa au XIXe siècle. Elle se traduisit, en premier lieu, par l'introduction de cultures fourragères et la création de prairies artificielles qui permettaient d'entretenir un bétail plus abondant, de disposer d'une bonne quantité de fumures et d'obtenir, ainsi, des rendements supérieurs dans les cultures. Avec cette amélioration sensible de la productivité, l'agriculture occidentale sortit, enfin, de la fatalité récurrente des disettes. Les surplus disponibles suffisaient, désormais, pour assurer, en permanence, une alimentation variée à la grande majorité des habitants des pays occidentaux, qui bénéficiaient, en outre, du développement national et international des échanges (rail, navigation à vapeur puis à moteur, etc.). A la fin du XXe siècle, pourtant, alors que le monde industrialisé connaissait l'abondance alimentaire, les populations de nombreux pays d'Afrique et d'Asie, naguère colonisés et aujourd'hui économiquement dépendants, souffraient de sous-alimentation et de famines chroniques, maux jadis communs en Europe mais amplifiés ici par une très forte surcharge démographique.