On le sait, pour ne pas être en reste et parer à la menace de se voir isolé, le MNA lança à son tour un mot d'ordre de grève générale, limitée à trois jours. Mais la démonstration tourna court. En Algérie comme en France, loin de cesser le 31 janvier, le mouvement de grève des travailleurs et des commerçants se développa après le troisième jour. Le vendredi 2 février (dernier jour ouvrable de la période de grève) le mouvement lancé par le Front est suivi à 98 %. L'envoyé spécial à Alger du quotidien parisien le Monde (3-4 février 1957) constate : «Le mouvement se poursuit encore dans plusieurs services administratifs où la proportion de défaillants atteint encore 98 %… L'absence de la plupart des commerçants musulmans dans les magasins et les boutiques, qui restent ouverts et vides, atteste que jusqu'au bout le mot d'ordre aura été observé.» Il fut observé avec la même rigueur et la même ampleur par les travailleurs algériens émigrés en France. La grève de huit jours fut pour eux l'occasion d'éprouver avec plus de force et de manifester devant l'opinion internationale leur appartenance à la nation algérienne. Si cette démonstration fut un succès complet — la grève des travailleurs algériens en France fut suivie aussi à plus de 98 % — c'est qu'elle avait été soigneusement préparée. Je dois le dire : l'organisation de ce mouvement de grève fut l'une de mes plus grandes préoccupations dès mon arrivée en France. Selon moi, il ne suffisait pas de distribuer d'une manière quelque peu désordonnée des tracts qui répondaient mal aux aspirations des travailleurs et exprimaient d'une manière trop vague et trop simpliste la ligne politique du Front. J'ai, donc, donné des instructions pour que soient créées des comités d'ouvriers FLN dans toutes les entreprises françaises qui employaient un grand nombre d'Algériens. Ils furent chargés d'un travail d'explication très important. Comment je l'ai organisé ? En rédigeant moi-même, deux fois par semaine, des tracts invitant tous les Algériens au combat et précisent les objectifs politiques du mouvement révolutionnaire. Aux comités de les expliquer verbalement et de diffuser à leur tour des tracts — inspirés de la ligne générale définie par le Front, mais tenant compte aussi des revendications propres aux travailleurs de telle ou telle entreprise, afin d'entraîner le plus grand nombre d'ouvriers dans la lutte. Parallèlement, le même effort avait été entrepris auprès des commerçants algériens résidant en France. J'ai favorisé, en effet, des réunions entre les commerçants les plus représentatifs de l'émigration. J'avais choisi Boulharouf et Abderrahmane Hafiz (militants responsables qui se trouvaient à ce moment-là à Paris) pour organiser ces rencontres. Je n'ai pas hésité, par ailleurs, à prendre contact moi-même avec quatre ou cinq commerçants particulièrement influents auprès de leurs compatriotes. Nous nous réunissions parfois chez l'un d'eux : Ahmed Belghoul. Propriétaire du restaurant le Hoggar, rue Monsieur-le-Prince, à Paris, ancien compagnon de l'émir Khaled, fondateur du premier parti politique algérien moderne, l'Etoile nord-africaine, il nous accueillait, évidemment en dehors des heures des repas, dans l'une des salles aux murs de mosaïque dont le Tout-Paris appréciait le couscous et le méchoui. Le succès incontesté de la grève de huit jours en Algérie comme en France marque la liquidation politique du MNA définitivement disqualifié. L'autorité politique du FLN s'en trouva au contraire confirmée avec éclat. Le mot d'ordre que j'avais lancé moi-même à Alger, dans des tracts et dans un article d'El Moudjahid, à Alger, dans des tracts et dans un article d'El Moudjahid, prenait tout son sens : «Le FLN représentant authentique et exclusif du peuple algérien». J'avais tenu, à l'époque, à maintenir le terme «exclusif que certains avaient estimé inutile parce que je songeais non seulement aux dangereuses menées du MNA mais aussi à un groupement éventuel qui aurait pu s'inspirer de l'idée colonialiste : créer une troisième force artificielle pour contrebalancer l'autorité nationale du Front. Le danger était, désormais, écarté. Et du même coup atteint le troisième objectif que nous nous étions fixés : démontrer à l'assemblée générale de l'ONU que les exigences d'indépendance et de souveraineté du FLN étaient en réalité celles de la nation tout entière. Enfin, je ne le cacherai pas, l'organisation de cette grève constituait pour les responsables du FLN une sorte de répétition générale. Nous savions, désormais, que si un jour cela devenait indispensable, nous serions en mesure de mobiliser toute l'Algérie, pour une véritable insurrection générale. Tel n'était pas notre propos au mois de janvier 1957. Le général Massu ne saurait nous contredire quand nous affirmons : «Le mot d'ordre de grève, les consignes lancées par la radio clandestine du FLN ou des tracts n'invitaient pas les Algériens à l'insurrection et à la violence.» Bien au contraire, les responsables invitaient les grévistes à rester chez eux. Ce qu'ils firent, d'ailleurs, quand les hommes en général Massu n'allaient pas violer leurs domiciles, pour les enlever et les jeter dans des camions afin de les faire conduire sur leur lieu de travail. D'ailleurs, c'est de notoriété publique que, pendant toute cette période qualifiée d'insurrectionnelle par le général Massu, toutes les violences, toutes les exactions ont été le fait de la police, de l'armée et des ultras. Les correspondants des journaux étrangers, français y compris, ont pu le constater : «Au dernier jour de la grève, aucun incident n'a surgi, aucun attentat surtout n'a été commis jusqu'ici contre la population européenne », constate l'envoyé spécial du Monde (3-4 février 1957) à Alger. Au matin du premier jour, Alger est une ville morte. Les musulmans ont observé rigoureusement la consigne du Front : «Restez chez vous.» En dépit des menaces que lancent les hauts-parleurs des voitures de la police, les rideaux de fer des magasins musulmans restent fermés. Ces appels sont poncturés par le bruit des half-tracks et des poinçons dont les soldats se servent pour lever les rideaux baissés ou enfoncer les volets clos des boutiques et des échoppes. Ces moyens artisanaux se révèlent souvent insuffisants. Mais, comme le fait remarquer avec jubilation le général Massu, «aucun rideau de fer ne résistait à une traction exercée par un camion militaire (le bon vieux GMC) démarrant en marche arrière». Ils ne résistaient pas davantage aux obus que le colonel Argoud faisait lâcher par ses blindés contre les magasins musulmans, comme il le fit par exemple sur la grande place de l'Arba. Ce n'était pas, comme il le dit, la «colère du ciel» qui venait de s'abattre sur ce gros village de la Mitidja. Tout simplement la fureur aveugle d'un colonel français tenu en échec par la volonté de résistance de la population musulmane aux menaces et aux provocations.