Jamais depuis l'avènement de la production du fer et de l'acier en Algérie, des lendemains de l'indépendance et du multisyndicalisme du début des années 1990, le monde de la sidérurgie n'a été aussi secoué comme il l'est ces derniers mois. Secoué est peu dire à l'écoute des menaces de mort proférées à l'encontre des syndicalistes, le manque de réaction de la centrale syndicale et des pouvoirs publics, l'état de pourrissement auquel est arrivée la situation au complexe sidérurgique El-Hadjar avec pour conséquence, la baisse constante du niveau de production. La crise qui parait profonde ne peut plus permettre à l'employeur de continuer à se cacher derrière des appels à l'aggiornamento dont l'horizon est véritablement flou. Deux grèves générales ont caractérisé ces neuf derniers mois. Au dixième, c'est à dire ces derniers jours, un débrayage dans la totalité des unités de production est intervenu. Il est la conséquence de la fin de non-recevoir de la direction générale ArcelorMittal d'intégrer dans ses effectifs une quarantaine de salariés des sociétés sous-traitantes. Vincent le Gouïc, le patron de cette société algéro-indienne dont le siège est à El-Hadjar, a bien tenté d'apaiser son monde. Constant que les installations de production sont à l'arrêt, il a pris langue avec les «grévistes» pour les inviter à reprendre le travail. Vainement, il n'est même pas arrivé à délimiter les chantiers pour une éventuelle reprise des négociations avec les syndicalistes. En fait, Vincent le Gouic a été pris au piège par les termes d'une de ses déclarations répercutées par son chargé de la communication : «La direction générale ne privilégie aucune partie sur l'autre.» De ce fait, il a renvoyé dos à dos les syndicalistes, ayant mission de négocier salaires et conditions de travail, et les élus du comité de participation chargé uniquement des œuvres sociales des travailleurs. Même en décidant de limoger son directeur chargé des ressources humaines, il n'est pas arrivé à convaincre les travailleurs. Hier mardi, il en était à se poser des questions sur l'inamovibilité du conseil syndical dans tout dialogue. Un retour au point de départ en quelque sorte après la victoire du 21 juin 2010 qui a vu Sidi-Saïd Abdelmadjid, le patron de la centrale syndicale, soutenir la direction générale ArcelorMittal en décidant de la fin de la grève générale illimitée déclenchée par les syndicalistes 3 jours auparavant. Des questions aussi sur le cadre le plus pertinent pour définir une réelle collaboration des syndicalistes sans lesquels le partenariat sera vécu par les travailleurs comme une menace. C'est du reste l'interprétation à donner à la multiplication des grèves et débrayages, les négociations syndicats/employeurs suspendues aussitôt entamées, les violences verbales et physiques entre les syndicalistes et les élus du comité de participation. Hier, les travailleurs ont radicalisé leur mouvement de débrayage entamé partiellement lundi. Tôt le matin, le complexe était paralysé par une grève générale qui ne dit pas son nom. Ce qui s'apparentait à une protestation limitée dans le temps et l'espace, s'est généralisé. Sans que le syndicat ne soit impliqué, un mot d'ordre de grève générale paraissait avoir circulé très rapidement. A 8h, l'arrêt de toutes les installations de production étaient effectif dans les ateliers alors que l'activité administrative était réduite à sa plus simple expression. Interdits d'accès au complexe sous peine d'être physiquement agressés par leurs antagonistes du comité de participation, Kouadria et les membres du bureau exécutif suivent de loin les événements. «Je n'ai pas cessé d'appeler à l'apaisement. Les syndicalistes n'ont rien à voir avec ce mouvement d'autant plus que nous attendons l'organisation des élections anticipées. Las de la situation de pourrissement qui caractérise la situation au complexe, les travailleurs ont décidé spontanément d'entamer non pas une grève, mais de se soulever. Leurs principales revendications sont le retour de leurs représentants syndicaux dans leurs locaux, la reprise des négociations sur les salaires et indemnités, l'intégration dans les effectifs d'ArcelorMittal des travailleurs issus des sociétés sous-traitantes et une plus grande sécurité de travail dans le complexe.» Pour l'heure, la mobilisation est générale sur le site du complexe sidérurgique El-Hadjar. La totalité des unités de production y est à l'arrêt notamment les laminoirs à froid et à chaud, la galvanisation, l'unité de maintenance industrielle et l'aciérie à oxygène. La mise à l'arrêt du haut-fourneau suivie en début d'après midi du laminoir fil et rond n'arrange pas les choses. Au vu de la détermination des travailleurs à poursuivre leur débrayage jusqu'à la satisfaction de leurs revendications, il n'y a aura pas de production. Et même si lundi en fin d'après-midi le départ du français Daniel Atlan, directeur des ressources humaines, a été confirmé, on en est pas à la décantation. Selon le SG du syndicat, il serait la cause de nombreux problèmes dans la gestion du complexe El-Hadjar. Dans le même temps, le conseil syndical est de plus en plus plébiscité. Sa décision d'organiser des élections anticipées pour désigner les nouveaux membres du bureau syndical et du comité de participation lui a valu la reconnaissance de la majorité des 5 700 travailleurs. En revanche, le compromis confusionniste pratiqué par la direction générale envoie un signal négatif aux salariés largement exaspérés par la prédation et les brutalités de certains membres du comité de participation. Ces derniers ont beaucoup plus cherché querelle aux syndicalistes plutôt qu'à l'employeur. Profitant de ces divisions ostensibles, la direction générale propose une fuite en avant par le «oui mais…» en réponse à tous les appels de son partenaire social. Pour les syndicalistes, cette position confirme l'information selon laquelle, avant la fin de l'année 2010, plusieurs centaines de travailleurs en poste dans différentes unités de la société algéro- indienne de sidérurgie ArcelorMittal El-Hadjar seront contraints au départ volontaire ou être mis à la retraite. On peut même dire que le compte à rebours a été enclenché avec la communication de dégraissement des effectifs adressée à l'ensemble des directeurs régionaux des points de vente ArcelorMittal en Algérie.