Lorsqu'on lit le livre, on est frappé par deux choses : la prédominance de l'imparfait, temps de la description ainsi que du présent de l'indicatif à valeur d'actualité, et la récurrence de mots qui nous remettent dans le contexte de la vie traditionnelle : le chant du coq, la chouette qui hulule, l'âne qui braie, bref, tous les éléments d'une vie campagnarde au sens plein du terme sont là. Est-ce qui nous a été rapporté avec la plus grande fidélité fait partie d'un vécu personnalisé, dur à supporter mais plein de charme. Les plus vieux parmi nous, à la faveur de leur expérience, disent que dans l'ancien temps, chaque jour apportait son lot de difficultés tout de même supportables en raison de l'ambiance de solidarité qui y régnait. Au lieu d'une forme romanesque qui l'aurait obligé à une part de fiction, l'auteur a préféré la chronique pour plus de dynamisme, de réalisme, de facilité à la lecture, d'imprégnation à la traditionnalité la plus authentique. Nos ancêtres par les souvenirs C'est un travail digne d'un maître de la narration auquel s'est livré l'auteur qui cherche à motiver, à regarder le passé en, nous faisant entrer d'emblée dans le décor de l'univers ancestral dont il ne reste presque rien, plus de braiement de l'âne, du chant du coq, du hululement des hiboux dans le silence et la solitude de la nuit. L'alternance d'imparfait et de présent nous rattachent à des faits et événements qui appartiennent au passé mais qui ont une allure d'actualité. Tout un chapelet de pratiques anciennes, traditions, croyances superstitieuses se déroulent sous nos yeux, moyennant des histoires, scènes extravagantes, situations de la vie d'antan recréées ou inventées pour donner, en tant que procédés pédagogiques, l'illusion du réel. La scène du coq à abattre est là pour en témoigner, à l'exemple aussi du métier à tisser pour le tissage d'un burnous, la préparation du couscous et la célébration d'un événement heureux. Il s'agit, donc, de tableaux ou flashs qui se suivent dans un ordre non chronologique. Faire revivre le bon vieux temps C'est l'appellation choisie par ceux qui ont su vivre intelligemment dans les temps anciens, malgré les pires difficultés. Est-ce pour cette raison que cette chronique a été réalisée ? On ne pourrait l'affirmer sans preuves. Tout ce que nous savons c'est qu'au fil des pages, on passe de l'autobiographie à la vie au village, dans un décor ancien qui donne du piquant au texte. Le narrateur paraît avoir été, d'abord, un enfant atypique dans un village d'antan, celui de nos grands parents. Ce qui rend la lecture agréable c'est d'abord la fugue présenté comme un voyage initiatique vers l'âge adulte parce que cela a exigé de l'audace, de la témérité, du goût du risque. Ne dit-on pas d'ailleurs que «la victoire n'appartient qu'à ceux qui entreprennent», même si la famille s'est emportée pour l'enfant qui a osé une aventure périlleuse. Et ce que l'enfant accomplit en imitant les grandes personnes, relève des rites de passage. L'auteur parle du premier jour de Ramadhan pour un enfant qui fait l'effort de l'abstinence. Et comme s'il avait fait une sélection des situations d'apprentissage, il cite aussi avec beaucoup de détails utiles la première sortie du même enfant pour aller au marché sous la direction d'un homme expérimenté en la matière et qui avait reçu la recommandation de guider l'enfant dans ses achats d'un étal à un autre, dans le marché hebdomadaire qui se tenait dans l'ancien temps au bord d'une rivière. Les rites de passage font partie de toutes les traditions africaines ; ils consistent à aider l'enfant à passer de l'âge de la naïveté à celui de la maturité. Aussi , rien de ce qui fait la beauté de la vie au village ou au hameau n'est omis ; l'élevage vivier, les superstitions à l'exemple du mauvais œil, les châtiments de l'instituteur pour les fautes commises, les mariages consanguins qui produisent des enfants tarés. Et comme tout ce qui crée par la voie des inventions et découvertes humaines, est appelé à disparaître, il ne reste plus rien de ce qui a fait la beauté et le charme de la vi de nos ancêtres qui ont tout fait pour survivre. Ils ont lutté pour la survie. «Et puis un jour, dit Amar Zentar, tout a basculé : les chèvres ne donnaient plus de lait, les vieux rendaient l'âme un à un, les jeunes ont abandonné le village pour traverser la mer…. ». Boumediene Abed Amar Zentar, la Tombe sous le grenadier, 142 pages, Ed Mille feuilles 2010.