Violence, frustration mais aussi amour et sensualité peuplent ce roman descriptif et visuel... Artiste-peintre remarquable et remarqué, Jaoudet Gassoum est aussi journaliste, titulaire d'un magister en communication et d'une maîtrise en arts plastiques, il vient de sortir chez Chihab Editions son premier roman. Avec Zorna, c'est son nom, il commet ici une tentative assez réussie dans le domaine de l'écrit romanesque. L'histoire est celle de gens ordinaires que l'auteur s'emploie à rendre attachants ou désagréables. Dans Alger, à la période du couvre-feu - seul indice temporel que nous ayons pour déterminer l'époque - vit dans un immense immeuble à côté du port d'Alger un sombre personnage Lounes ou Loua pour les intimes. On est au mois d'octobre, Loua «s'est fait virer manu militari de l'usine de lustres qui l'avait enterré dans une cave humide durant 5 ans». «Taciturne, silencieux par option, misanthrope par vocation», c'est ainsi qu'il est décrit. De plus, il adore cultiver un faux bégayement pour s'attirer l'indifférence des autres. Loua vit dans un monde de rêve et d'espoir. L'espoir de rencontrer un jour l'élue de son coeur, celle qui a grâce, à ses yeux : Zorna. «Zorna au nom si musical à la beauté farouche, aux seins de porcelaine et aux veines bleutées, pleines de vie...» Amoureux fou, il l'était de Zorna, jusqu'à en perdre la raison. Amoureux de cette fille fantasque et à la mélancolie chronique, qui, elle, n'aimait que son poste de radio et ses avatars de prince charmant «aussi sirupeux que du miel sur des makrouts». Tous deux étaient issus de deux mondes si différents. L'un pauvre et l'autre aisé. Mais ces «deux antihéros du silence» étaient unis par «leur désir féroce de changer d'existence». Cependant, pendant que Loua se mourait pour Zorna, Silima, une gentille fille languissait d'amour pour Loua à qui elle vouait une adoration quasi divine. Or lui, il l'aimait comme une soeur. Silima, femme aux formes généreuses mais enlaidie par un bec de lièvre qui lui donnait un «essai raté de sourire», avait «le coeur blanc qui lui valait la compassion et l'amitié chaleureuse des belles, tandis que les sorcières la regardaient avec commisération, elles voyaient en elle, l'échec, la malédiction pour une fille, un futur terminé déjà avec le présent». Mais Silima c'est aussi cette fille «à la peau d'albâtre, aux yeux magnifiques dont les robes éternellement fleuries, laissaient apparaître la naissance de deux beaux seins généreux». Silima aux mille grains de beauté respirait le bonheur de son coeur palpitant. Son corps exultait. «Elle aimait danser, chanter comme une déesse, prenant la derbouka en entonnant toutes les chansons comme une professionnelle avertie. Elle contaminait tout le monde par sa bonne humeur...» A ce sujet, on se demande si l'auteur ne s'est pas trompé dans le choix de la nomination de ses personnages tant l'amour qui couvait en Silima était un feu d'artifice explosif qui lui donnait le tournis, le vertige. Elle était, à elle seule, un tourbillon de feu, comme la force majestueuse d'un groupe de musiciens endiablés. Sauf qu'elle était la Esméralda du coin avec un bec de lièvre en plus. Autour de ce moustachu aux muscles noueux de Loua, gravitaient pas mal de personnages, sa tante, Sousta, son ami de toutes les épreuves Sistris, «une dent en moins», Spertek, Wizi, Tihiwi, Ali Rocher carré, le Lino Ventura de la bande, Mahmoud El-Oud, vendeur de cacahuètes...Lounes «frère de la douleur et la tristesse» évoluait dans un monde insalubre, morose et sordide. Si sa vie reste monotone et sans saveur, sa description n'en est pas moins odorante, colorée et imagée. Jaoudet Gassouma écrit comme il peint. Et ce n'est pas un reproche, bien au contraire. Le trait grossi de ses personnages, fait ressortir toute leur singularité et leurs qualités. Leurs défauts aussi. On reconnaît là, la grotesque «touch» de Joe qui aime verser dans l'excès et la démesure et par ricochet, la caricature. Une façon, encore une fois esthétique, de jouer avec les mots et sur les mots en dépeignant ces personnages à coups de «brosse» et force imaginative. Un univers nouveau dans lequel Jaoudet avoue vouloir se perdre. «Derrière une gaieté intempestive et juvénile, l'auteur se joue des mots, car derrière leurs sonorités ludiques se cachent la douleur et les cris des réclusions des libertés, traduites ici par une syntaxe qui prend revanche sur les points», lit-on en dernière page du roman. En effet, derrière le côté lisse, rose bonbon et cette aura d'arc-en-ciel dans lequel gigotent des étoiles et des coccinelles rouges, bleues, vertes, jaunes...se noue un drame terrible à la fin de l'histoire. Sans révéler sa nature, la mort succède à la folie d'aimer, au désespoir. Jaoudet Gassouma s'attaque à un sujet aussi délicat que tabou : la virginité dans les sociétés conservatrices. Ça donne à réfléchir en tout cas. Lounes finit-il par dire je t'aime à Zorna malgré la barrière qui les sépare? Connaîtra-t-on un jour le secret de Silima? Qui s'en soucie! La vie continuera sur la terrasse. Le hibou hululera encore comme «chouchoumaleh», la mouette redoublera de rire sur leur funeste vie. «Zorna» serait-il au fond un roman de révolte et de déchirure? Enfin, frustration, violence et érotisme, trois mots qui pourraient résumer ce roman «Zorna», bourré de descriptions. Et à l'auteur de conclure: «Ce petit ouvrage est une proposition esthétique. Une peinture. Un univers complètement imaginé. Un roman machiavélique qui amène le lecteur à se perdre dans les détails qu'il croit reconnaître...».