Cet espace a été le premier à forger sa déférence et son autonomie vis-à-vis du moulk abbasside qu'on appelle abusivement khilafa. L'ibadisme et son émirat sont fondés sur une certaine idée de la justice et du travail. Si les logiques de la fragmentation ont été profondes, les méfiances remarquées face à la centralité politique traditionnelle avec les séquelles encore vivaces d'une culture beylicale, alimentée par une écologie politique à dominance ruralo-assabienne, l'Algérie s'est aussi construite dans une tradition politique fondée sur un mouvement politique pluriel et un nationalisme libérateur qui a marqué son identité politique actuelle. Les fruits et les paradoxes de son développement, sa crise et sa fitna n'ont pas occulté la question de la légitimité du pouvoir et la problématique de la gouvernance. Les différents discours de tous les présidents qui se sont succédé depuis l'indépendance politique n'ont-ils pas été axés sur la bonne gouvernance, qui, hélas, n'a pas été suivie dans la pratique. Il existe une symbiose entre les discours que contredisent les pratiques quotidiennes à travers les différents scandales financiers, des procès tapageurs mais sans lendemain, du fait de la neutralisation des rapports de force au niveau du pouvoir, expliquant en partie la démobilisation et la méfiance de toute une population comme en témoigne le fort taux d'abstention lors des différentes élections. C'est que le pilotage improvisé de la société et le détournement de l'Etat par les dépositaires des idéologies peu enracinées dans les consciences ont réduit la fonction sociale de l'autorité et remis une nouvelle fois sur le tapis les fondements de l'Etat tranchés avec un génie remarquable par le document historique, l'appel du 1er novembre qui élabore l'architecture d'un Etat démocratique et social. Dans le triptyque «démocratique, social, imprégné des valeurs de l'islam», tout en tenant compte de notre culture ancestrale amazighe, se concentrent en réalité les valeurs consensuelles d'abord du mouvement national algérien, l'esprit combatif et djihadien de la génération de l'indépendance, mais aussi une avancée historique dans l'apprentissage et la construction politiques en Algérie. Une rupture définitive avec les archaïsmes structurels de la pensée et de l'organisation sociale, une négociation avancée dans le domaine du développement, des ambitions exprimées dans le secteur de l'éducation, une participation active dans la scène internationale font que l'Algérie pouvait, d'une certaine manière, inscrire son parcours dans les logiques des Etats émergents. Or, ce programme a subi un naufrage inattendu. La mauvaise gouvernance, conjuguée avec une conjoncture compliquée dans les relations internationales, a mené vers l'échec et la fitna. Toutefois, les Algériens ont soif d'une bonne gouvernance qui délimiterait alors les excès d'un populisme inconséquent et qui engagerait la collectivité nationale dans le renouveau. L'hypothèse la plus forte reste liée à la capacité des hommes à faire un Etat ou la capacité de l'Etat a engendré les hommes de la bonne gouvernance. Les équipements anthropologiques évoqués, les démantèlements provoqués par la fitna, les douleurs et les séquelles de la crise qui constituent des lourdeurs peuvent aussi pousser, s'ils sont accompagnés par une communication politique conséquente, vers la recomposition du champ politique qui prendrait en charge la refondation nationale et la modernisation de l'Etat. Car si le retour à la paix, à la stabilité et à la sécurité constitue la condition sine qua non du développement et de la prospérité, la démocratisation de la vie politique et la restauration de la crédibilité des institutions de l'Etat ne représentent pas moins une condition tout aussi fondamentale. La bonne gouvernance concerne l'ensemble des outils et des méthodes de gestion des affaires de la Cité et embrasse la totalité des actions politiques – celles des hommes comme celles des institutions qu'ils dirigent – qui ont pour vocation de servir la collectivité. Comme analysé précédemment , mesurable et quantifiable, en quelque sorte, la bonne gouvernance est aujourd'hui l'objet d'une attention particulière à la fois des institutions internationales, des grandes nations et d'ONG internationales spécialisées et surtout elle ne laisse plus insensibles les investisseurs potentiels, c'est-à-dire des investissements porteurs à moyen et long terme, seule condition de lutter contre le chômage et la pauvreté, afin d'avoir une croissance durable hors hydrocarbures et éviter que l'Algérie ne soit qu'une pure plateforme commerciale pour de drainer les réserves de devises via la rente. S'agissant de l'Algérie, les résultats qu'elle réalise malgré des dépenses monétaires sans précédents, et ce grâce aux hydrocarbures et non au génie créateur, qui vont à l'épuisement, semblent mitigés. La corruption dans les administrations et le système judiciaire semble constituer une entrave aux affaires en Algérie. La mauvaise position de l'Algérie est liée au détournement de deniers publics, au trafic d'influence et à la corruption dans les marchés publics, lit-on dans la majorité des documents internationaux entre 2007 et 2010. Cela ne fait que corroborer le manque de cohérence et de visibilité dans la démarche de la réforme globale en panne et la socialisation de la corruption. Conclusion : pour l'Etat de droit et la démocratisation des régimes arabes La bonne gouvernance est une condition essentielle à l'instauration d'un Etat de droit qui, à la lumière des expériences historiques, ne saurait s'assimiler durant une certaine phase à la démocratie qui doit prendre en charge les équipements anthropologues propres à chaque société comme l'a montré brillamment l'économiste indien prix Nobel d'économie A. Sen. La bonne gouvernance reste cette capacité intrinsèque que possède une société à produire la politique et à faire ressortir à chaque fois la force de l'arbitrage pour piloter les clivages et contenir les contradictions débordantes. Les quarante dernières années qui ont marqué la vie politique et économique de bon nombre de pays du tiers monde nous réconfortent aujourd'hui dans notre conviction qui consiste à dire que le développement n'est pas une affaire de quincaillerie industrielle, de signes monétaires tant par l'importance des réserves de changes ou de dépenses monétaires sans se soucier de la bonne gestion, mais une question de bonne gouvernance, de moralité des institutions par la lutte contre la corruption, la considération du savoir, le respect de la femme, la symbiose des apports de l'Orient et de l'Occident grâce au dialogue des cultures, qui a fait la prospérité du monde arabe et musulman en général à une certaine période historique, une visibilité dans la démarche, une politique socio-économique cohérente, réaliste et loin du populisme, permettant de concilier l'efficacité économique et l'amélioration du pouvoir d'achat de la majorité en tenant compte des nouvelles mutations très rapides du monde où toute nation qui n'avance pas recule. Bref, la bonne gouvernance se conjugue toujours au présent et se chante selon les hymnes des cultures et vit comme une harmonie entre la force et la politique. La bonne gouvernance se vérifie dans la vision et les convictions des vrais acteurs et leurs capacités réelles à entreprendre les actions appropriées et à engager la société dans la voie de l'efficacité et de la modernité fécondes et intelligentes. (Suite et fin)