Entre 1775 et 1794, le Bey Ouznadji s'établit à Berrouaghia où il créa magasins, docks, hangars et postes militaires appelés noubas. Les vastes magasins de Berrouaghia renfermaient, selon une chronique, une immense quantité de grains, de bachemat, de bolghol et matériel agricole considérable. Cette importance agricole sous les Turcs apparaît nettement sous la plume de S. Gsell : «Berrouaghia était une ferme labourée, ensemencée, cultivée et récolte par les Arabes au profit du Beylicat de Médéa.» Sans doute les Turcs ont voulu donner à leur présence dans la région du Titteri une certaine consécration en fondant l'organisation territoriale du Makhzen et dont Berrouaghia allait constituer un point important. Elle n'avait d'égale que la ville de Médéa, pour la beauté de ses sites, l'étendue et la fertilité de ses terres, la grâce de ses forêts, ses ressources hydriques. Mais le pendant négatif est celui des luttes interminables entre tribus autochtones et les représentants locaux du pouvoir Beylicat. C'est le cas des puissantes tribus des Hassan Ben Ali qui ne furent jamais gouvernées par un caïd turc. Cela à cause de leur mise à sac et une fiscalité obéissante à une volonté dominatrice des Turcs. Néanmoins, c'est dans cette période que Berrouaghia composera avec l'architecture, les travaux hydrauliques, la réglementation des échanges commerciaux qui culminera dans la tarification de tous les produits du marché hebdomadaire local qui s'y tenait, dit-on, le mercredi. D'où le nom de Larbâa qu'aurait porté le village avant de prendre celui d'Al Birwaqia. Les remises en cause des représentants locaux des Turcs étaient tempérées quelque peu par les privilèges dont bénéficiaient marabouts et chorfas de Berrouaghia. Dans la période qui commence à partir de 1830, les tribus de la contrée sentirent le devoir sacré de combattre le colonialisme français. Aussi, l'Emir Abdelkader trouva en elles ralliement et accueil chaleureux. Le prestigieux chef donna le ton à l'organisation militaire en installant sa Z'mallah, en désignant chefs de cavalerie, aux côtés de l'Emir, ce qui fit réagir le général français Baraguay d'Hilliers, en mai 1841, lequel engagea de terribles représailles contre eux. La Z'mallah fut mise à feu et à sang tout comme Boghar, autre forteresse de l'Emir. Le village colonial La création du centre colonial improprement nommé Berrouaghia s'inscrit dans un processus de la colonisation totale enclenché à partir de 1848 et connu sous le nom de «colonisation ouvrière de 1848». Cette opération déplaça donc de quelque trois kilomètres le siège de l'ancienne cité de la Z'mallah par décret impérial du 3 mars 1860. Mûri par un rapport datant de 1856, ce projet fixa le futur village sur la route Médéa- Boghar. Ce même décret affecta au centre un territoire de 663 hectares et 55 ares et prévoyait l'établissement d'une trentaine de colons. Le plan en était fixé par les officiers du génie. Le village commença donc à se couvrir de lotissements, traçage de rues et places, et verra l'inauguration d'une gendarmerie. Un certain capitaine Pons, l'un des premiers colons de la contrée, écrit en 1856 : «Le village de Berrouaghia a été sans prospérité pendant les trois premières années qui ont suivie sa création. L'insalubrité, le manque de ressources ont d'abord détourné notre confiance. Mais revenus de cette erreur, deux années ont suffi pour réparer le temps perdu. Plus de 40 maisons ou fermes, habitées par autant de familles, ont été construites.» Avec la création de l'arrondissement de Médéa (décret du 1er décembre 1879), Berrouaghia sera rattachée à ce chef-lieu à partir de 1880. Mais onze ans avant ce découpage et par décrets des 27 janvier 1869 et 10 février 1869, Berrouaghia fut érigée en commune de plein exercice. En fait, cette organisation administrative n'a fait que calquer celle des Turcs puisque le centre et le cercle comprenaient un ou plusieurs des grands Aghaliks et les subdivisions ou Khalifat. Il en est de même des bureaux arabes reconduisant l'ancien système des Mokhaznyas (administration centralisée) et les Hakams (représentation de base). Il en sera de même du Khodja-Khaznadji, Aga, Khodjet-El-Kheil, Chaouch, c'est-à-dire autant de fonctions que le colonialisme français greffera sur le territoire du Titteri. D'après une communication de P. Boyer, 29 colons et leurs familles s'installèrent dont le capitaine en retraite Pons, qui planta le premier vignoble de Berrouaghia. Un instituteur, M. Chambon, faisait en même temps fonction de secrétaire général de mairie. Le 29 septembre 1876, quelque 457 hectares prélevés sur les terres affectées à l'ancienne Z'mallah furent rattachés à Berrouaghia. En 1879, sera construit le pénitencier agricole. Un autre décret, celui du 30 mars 1882, ajoutait 214 hectares au périmètre de colonisation ; en 1887, Berrouaghia comptait 1 043 habitants, dont 600 Européens et 443 musulmans. A la même époque, le village enregistre la ligne de chemin de fer, la mairie, l'école, le presbytère, la justice de paix. Le rattachement du 7 août 1947 de cinq fractions de douars environnants porta la population de 3 494 habitants à 10 073 et la superficie —après prélèvements successifs —de 2177 hectares à 10 897. Ce pan historique représenté par les années 1800 constitue en fait une politique de dépossession foncière. Le sénatus-consulte de 1863 obéissait en réalité à la désintégration du cadre institutionnel dans lequel s'exerçait la djemâa au profit d'une représentation caïdale dont les membres étaient désignés par l'administration coloniale. Comme il a été dit plus loin, la loi de sénatus-consulte dépouilla le milieu paysan de ses sources de revenus. Pour donner une idée de cette dépossession, nous signalerons les 667 hectares prélevés en 1860 sur les douars de Ouled deïd et Seghouane. La guerre, le paupérisme, l'injustice formeront la trilogie qui précipitera les ruraux vers le village européen. Cet exode rural sera le pendant d'une expansion économique de Berrouaghia (commerce, transport, bâtiment) excluant toutefois les gens de la campagne. C'est aussi la juxtaposition de quartiers européens et de quartiers arabes sur fond de ségrégation à la fois spatiale et sociale envoyée par l'expression de «village nègre». (Suite et fin)