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Le docteur Abed Khouidmi au Quotidien d'Oran : Ghaza, le phosphore blanc et l'uranium appauvri
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 05 - 02 - 2009

L'homme est coutumier des conflits armés mais ce qu'il a vu et vécu pendant douze jours de feu et de sang à Ghaza dépasse l'horreur.
Le Dr Abed Khouidmi est revenu de la Bande avec la ferme certitude que ce qui s'est passé pendant la guerre de Ghaza est simplement un crime contre l'humanité. Même s'il ne veut pas le reconnaître, le docteur a été le premier à avoir soupçonné et dénoncé l'utilisation du phosphore blanc ainsi que derrière la découverte de l'utilisation des fameux missiles antipersonnel. Il se dit prêt à aller devant une cour internationale pour témoigner de ce qu'il a vu.
Le Quotidien d'Oran.: Pouvez-vous nous parler de la première prise de contact avec la guerre de Ghaza ?
Abed Khouidmi.: Depuis le premier jour du raid israélien, nous étions en contact avec le Croissant-Rouge palestinien à Ghaza et on recevait quotidiennement la liste de leurs besoins, ce qui fait qu'en collaboration avec le ministère de la Solidarité nationale, plusieurs envois d'aides en médicaments et en denrées alimentaires ont pu être acheminés vers Ghaza via l'aéroport égyptien d'Al Arich.
Ainsi, un pont humanitaire a été mis en place à partir de l'aéroport militaire de Boufarik avec une fréquence de deux à trois vols par semaine.
Q.O.: Et qu'en est-il de votre propre départ ?
A.K.: Le Croissant-Rouge palestinien avait formulé une demande pour des médecins formés en médecine de catastrophe, de chirurgiens et de réanimateurs et en collaboration avec la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge on avait établi une première liste qui comprenait vingt noms en plus d'une autre liste de médecins qui dépassait allègrement les 500 volontaires, mais les contraintes administratives ont fait que nous n'étions que deux médecins algériens à être autorisés à pénétrer dans la bande de Ghaza, le 9 janvier soit le deuxième jour après que les autorités égyptiennes eurent donné le feu vert aux équipes médicales de passer le terminal de Rafah. Donc, on est arrivés, moi et mon collègue Khalili Firas, spécialiste en chirurgie traumatologie, ainsi que le président du Croissant-Rouge algérien, à 13h à Al Arich, à quelque 40 km du terminal. Le Consul général d'Algérie en Egypte nous attendait. Un deuxième avion militaire avait fait le déplacement pour livrer des dons de médicaments, de vivres et deux ambulances.
Cependant, on n'était pas au bout de nos peines puisque arrivés au terminal de Rafah, nous sommes confrontés au refus des Egyptiens de nous laisser passer.
Trois heures plus tard et des contacts directs entre les hautes instances dirigeantes des deux pays, nous pénétrons dans la bande de Ghaza non sans avoir auparavant signé des décharges à la demande des Egyptiens. Nous étions alors la deuxième équipe médicale à pénétrer dans la Bande et la première à travailler à l'intérieur de la ville. Et le premier contact avec la réalité ghazaouie ce sont ces 4 F16 qui nous ont survolé et qui ont largué leurs bombes à quelques mètres de nous. Les représentants du Croissant-Rouge palestinien nous ont alors accompagnés à l'hôpital Nasser à Khan Younès où nous avons été reçus par le staff médical et administratif.
Une fois nos spécialités déclinées, on nous a orientés vers l'hôpital de Chiffa au coeur de la ville de Ghaza assiégée par les chars israéliens. Il a fallu que je rentre en contact avec le Comité international de la Croix-Rouge pour négocier l'entrée à l'intérieur de Ghaza. Le feu vert du Comité était conditionné par des directives à suivre. Ainsi, notre convoi composé de 13 ambulances, transportant les médicaments, devait s'arrêter à un kilomètre des chars israéliens. Une fois à distance « réglementaire » des barrages de Tsahal, j'ai appelé de nouveau le CICR qui m'a demandé de nous arrêter au niveau des chars et d'attendre. Notre convoi sera bloqué pendant trois heures avant d'avoir enfin le OK.
Q.O.: Les Israéliens vous ont-ils fouillés ou interrogés à un moment ou un autre de votre présence à leurs côtés ?
A.K.: A aucun moment, d'ailleurs, on ne les a jamais aperçus, ils étaient cloîtrés à l'intérieur de leurs chars. A minuit, on était enfin arrivés à l'hôpital de Chiffa où nous attendait le staff médical et administratif à leur tête le Dr Bassem Naïm, le ministre palestinien de la Santé. Les nouveaux arrivés ont été aussitôt dispatchés et on m'a confié, vu mon expérience du terrain, les services des urgences.
Ce que nous avions remarqué de prime abord c'est qu'en plus de la catastrophe humaine, il existait une catastrophe sanitaire puisque l'hôpital conçu pour 400 lits comptait plus d'un millier de blessés, la plupart des civils victimes des bombardements ou atteints par les impacts des missiles.
Le lendemain, on a réuni une commission restreinte comprenant une blouse blanche yéménite, jordanienne et égyptienne ainsi que le directeur de l'hôpital et j'avais proposé de travailler sur trois axes. Une meilleure prise en charge des blessés au niveau des urgences et des blocs opératoires. L'installation d'une commission médico-chirurgicale pour prospecter les six autres structures sanitaires que compte la ville en vue de désengorger Chiffa pour éventuellement recevoir d'autres blessés.
Et enfin, mener une campagne d'information pour dire la vérité sur ce qui se passait à Ghaza et c'est à moi qu'a été dévolu ce dernier axe.
Q.O.: Mais à propos du phosphore blanc ?
A.K.: Les confrères palestiniens m'ont demandé de consulter des blessés et j'ai vu qu'ils présentaient des lésions étranges, des brûlures comment dire spéciales.
Q.O.: Comment spéciales ?
A.K.: Elles n'étaient ni du 2ème, ni du 3ème degré alors j'ai demandé à visiter la morgue. Quand j'ai ouvert une lésion, la chair a commencé à brûler et une odeur qui ressemblait à celle de l'ail s'en est dégagée. J'ai soupçonné l'existence d'un produit chimique qui brûle au contact de l'air.
Au niveau du bloc opératoire et dès qu'on procédait à une laparotomie exploratrice (vérifier l'intérieur de l'abdomen) sur des victimes d'impacts de missiles, les organes internes commençaient à brûler. Forts de ces constatations, on est entrés en contact avec d'autres confrères à travers Internet et finalement on est arrivés à la conclusion qu'il s'agissait du phosphore blanc.
Alors, on a rectifié le tir dans le traitement des lésions et on a privilégié l'utilisation de produits alcalins comme le lait ou le bicarbonate de sodium à appliquer sur les blessures de ce genre, l'information a été répercutée à travers toute la population ghazaouie. Mais on m'a informé que des tracts ont été diffusés parmi les Ghazaouis les incitant à mettre de l'eau sur les plaies en cas de brûlures au phosphore blanc.
Q.O.: Et le Hamas dans tout cela ?
A.K.: Avant d'aborder le sujet de Hamas, laissez-moi d'abord vous raconter l'histoire des missiles spéciaux à tête plate. Il y a eu un raid sur une mosquée et je me suis déplacé pour m'enquérir des blessés. On a dénombré 9 morts alors que la bâtisse était intacte, il n'y avait qu'un cratère d'à peine 2 cm de profondeur. J'en ai conclu que le missile avait en quelque sorte le même rôle qu'une mine antipersonnel puisqu'il explosait à hauteur de 50 cm arrachant les membres inférieurs jusqu'aux genoux sans provoquer d'hémorragie à cause de la température élevée du missile. On a perdu ainsi trois blessés qui ont succombé après avoir été amputés des membres inférieurs, les plaies se rouvraient en provoquant des hémorragies abondantes et mortelles. On a alors soupçonné la présence d'un autre produit chimique et les analyses sont toujours en cours.
Q.O.: Où cela ?
A.K.: Je ne peux pas vous le dire pour des raisons de sécurité évidentes mais on a envoyé des échantillons à l'étranger pour des analyses plus complètes. Ce que je peux vous dire, c'est qu'on a soupçonné l'utilisation de l'uranium affaibli mais on attend le résultat des analyses pour nous prononcer.
Au bout d'une semaine et après avoir préparé un dossier solide, comprenant photos et prélèvements, on a organisé une conférence de presse où on a dénoncé l'utilisation d'armes non conventionnelles et la non protection des civils. On a adressé un courrier officiel au délégué du CICR ainsi que le dossier complet en demandant l'envoi d'une commission d'enquête neutre pour vérifier et confirmer nos conclusions et présenter le dossier à qui de droit pour crime contre l'humanité.
Q.O.: Et le Hamas dans toute cette histoire ?
A.K.: Je vais vous dire la vérité, je suis resté 12 jours à Ghaza-ville et je n'ai entendu personne à aucun moment me parler de ses couleurs partisanes. Il y avait les Palestiniens contre les Israéliens, il n'était question ni de Hamas, ni du Fatah ou d'autres factions de la résistance. Pour les blessés admis à l'hôpital, je peux vous assurer qu'à 90 ou 95% ils étaient des civils; quant aux combattants, ils étaient réceptionnés par deux personnes à l'entrée des urgences et après avoir été dépouillés de tous signes distinctifs, armes, gilets pare-balles ou moyens de transmissions, ils étaient orientés vers une salle propre à eux.
Q.O.: Vous êtes restés après le cessez-le-feu pour quoi faire ?
A.K.: Après le retrait israélien de la bande de Ghaza, j'ai repris mon travail pour représenter l'Algérie et le CRA dans la région et comme je suis également personne ressource (conseiller) au secrétariat général de la Fédération internationale de la croix et croissant rouge à Genève dans le domaine de la gestion des catastrophes, j'ai été sollicité pour diriger les secours dans la région en procédant à l'évacuation des blessés de la bande de Ghaza vers l'Egypte, en réceptionnant l'aide internationale au port et à l'aéroport d'Al Arich et l'envoyer selon les priorités vers Ghaza et se préparer pour recevoir un exode palestinien vers le terminal de Rafah.
Q.O.: Vous avez vécu les conflits au Sud Liban, en Irak et maintenant à Ghaza, s'il fallait les classer par degré d'horreur ?
A.K.: Ghaza, c'est l'horreur, le carnage surtout les dernières 48 heures où les bombardements ont doublé d'intensité où la barbarie a atteint son paroxysme. Même l'hôpital d'Al Qods a été visé et touché le matin par un missile et bombardé de nouveau à minuit. Personne n'a été épargné dans ce conflit.


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