La commission d'enquête des Nations unies a remis son rapport sur la guerre de Ghaza. Cette mission avait été chargée en avril d'enquêter sur les possibles violations commises lors de l'offensive israélienne contre la bande de Ghaza, du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009. L'offensive israélienne a fait plus de 1 400 morts palestiniens, selon les services d'urgence palestiniens, et provoqué d'énormes dégâts dans le territoire. Le rapport Goldstone Les conclusions mettent en avant que «des actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, par certains aspects, à des crimes contre l'humanité ont été commis par les forces israéliennes de défense». Propos de l'enquêteur Richard Goldstone. Un groupe d'observateurs à Ghaza a indiqué que plus de 900 des 1 400 Palestiniens tués lors du conflit étaient des civils. Pour équilibrer le réquisitoire, le rapport estime que les tirs de roquettes par des militants palestiniens sur des cibles non militaires en territoire israélien constituent aussi des crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité. Difficile à croire puisque treize Israéliens, trois civils et 10 militaires, ont été tués au cours de ce conflit. Ghislaine Doucet, juriste et spécialiste en droit humanitaire, rappelle que, selon l'article 7 du statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), les crimes contre l'humanité sont commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile. Les exterminations ou déportations, la mise en esclavage et la pratique de la torture entrent dans cette catégorie. L'article 8 de ce même traité précise que les crimes de guerre s'inscrivent «dans un plan ou une politique». On trouve parmi eux, notamment : l'homicide, les traitements inhumains ou encore le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances. En résumé, le crime contre l'humanité suppose qu'on s'en soit pris à une population de manière systématique et généralisée, ce qui n'est pas le cas du crime de guerre, qui peut être un acte isolé. Le contexte dans lequel sont commis certains crimes décide donc de leur qualification pénale. Tous ces crimes ont pour point commun d'être imprescriptibles, selon le statut de Rome. Richard Goldstone, ancien procureur lors des procès sur l'ancienne Yougoslavie et le Rwanda, recommande au Conseil de sécurité des Nations unies d'exiger d'Israël l'ouverture d'une enquête sur de possibles crimes commis par ses troupes. Le magistrat sud-africain estime que cette enquête doit être «indépendante et en conformité avec les critères internationaux» et que soit instaurée une commission d'experts des droits de l'Homme pour contrôler le processus. En cas de refus israélien, les 15 Etats membres du Conseil de sécurité doivent rendre compte de la situation à Ghaza au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, stipule le rapport. Dans ce cas, la CPI pourrait vouloir juger des dirigeants politiques ou des chefs militaires israéliens impliqués dans l'offensive contre Ghaza et émettre à cette fin des mandats d'arrêt internationaux. Quelles conséquences ? En Israël, rares sont ceux qui ont positivement accueilli le rapport. Neuf organisations de défense des droits de l'Homme en Israël ont toutefois exhorté l'Etat hébreu à prendre au sérieux le rapport Goldstone et à «mener une enquête impartiale et indépendante… Les rapports de Tsahal sont insuffisants. Seule une commission d'enquête israélienne indépendante peut constituer une réponse juridique adéquate sur la scène internationale», a commenté le professeur de droit Yaffa Silberschatz. D'ailleurs, un rapport, publié le 9 septembre dernier par l'organisation israélienne des droits de l'Homme B'tselem sur les victimes de la guerre de Ghaza de décembre 2008, contredit nettement le bilan établi par l'armée israélienne. Selon B'tselem, les forces israéliennes ont tué 1 387 Palestiniens, dont 773 n'avaient pas pris part aux hostilités. Parmi eux, 320 mineurs et 109 femmes de plus de 18 ans. Les Palestiniens ont tué 9 Israéliens, dont 5 soldats. Selon l'armée israélienne, 1 166 Palestiniens ont été tués, dont 60% étaient membres du Hamas ou d'autres groupes armés. De son côté, l'armée israélienne affirme que, sur ce total, seuls 295 Palestiniens n'ont pas pris part aux combats. En revanche, le gouvernement israélien a immédiatement rejeté le rapport jugé partial. Benjamin Netanyahou a également appelé les dirigeants internationaux à s'opposer à de possibles inculpations de soldats et responsables israéliens évoquées par le rapport onusien. Estimant qu'il s'agirait d'un «coup porté à la lutte contre le terrorisme», il a estimé que d'autres pays pourraient à leur tour voir leurs militaires inculpés lors d'opérations du même genre. L'allusion est limpide : les Etats-Unis sont visés. D'ailleurs, le porte-parole du département d'Etat P.J. Crowley a fait état de «préoccupations sur le contenu du rapport» à Washington. Les Etats-Unis s'opposent formellement à une recommandation du document, qui parle de poursuivre Israël devant la Cour pénale internationale. Ian Kelly, le porte-parole du département d'Etat, estime qu'Israël «a des institutions démocratiques pour enquêter et poursuivre les abus et nous l'encourageons à s'en servir». Les responsables israéliens ont donc lancé une campagne internationale contre ce rapport. Ils craignent que, sur l'initiative de pays arabes, il ne soit effectivement soumis au Conseil de sécurité de l'ONU et que ce dernier ne décide de le transmettre à la Cour pénale internationale (CPI). La CPI peut être saisie de trois manières : - par l'un des États signataires du statut de Rome, - par le Conseil de sécurité de l'ONU (décision éminemment politique), - par le procureur de la CPI. Il revient ensuite à la cour de délivrer un mandat international contre les personnes soupçonnées. Les Etats ont tous, en principe, le devoir de coopérer à l'arrestation de ces individus. Reste que les chances que le Conseil de sécurité réponde favorablement à cette requête sont extrêmement minimes. Ainsi que le rappelle le rapport de Mireille Fanon-Mendès France, le procureur se trouve devant le fait que, d'une part, l'Etat israélien a signé le statut mais ne l'a pas ratifié et que, d'autre part, l'Autorité palestinienne n'est pas un Etat, et ne peut donc pas être partie. Or, l'Autorité palestinienne a transmis aux instances de la CPI une demande de reconnaissance de la compétence de cette cour en ce qui concerne l'agression sur la bande de Ghaza. L'argumentation fait valoir que de facto le territoire de Ghaza est un Etat, depuis que l'Etat d'Israël l'a quitté. Rappelons que la Palestine est placée, en raison de son statut de sujet de droit international, ainsi que l'ensemble de sa population, sous la protection des instances internationales. Cela devrait pouvoir aider la CPI à en tirer les conclusions spécifiques. Il faut aussi tenir compte du fait qu'il s'agit de violations graves des normes impératives du droit international et des normes coutumières concernant les conflits armés ainsi que les normes relevant de la protection internationale des droits humains en général et du droit humanitaire en particulier. Or, le préambule du statut de la Cour pénale internationale exprime, sans ambiguïté, que des crimes d'une telle gravité menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde et que ces crimes, parmi les plus graves, touchent l'ensemble de la communauté internationale et ne sauraient rester impunis. Reste à savoir si la réalité suivra le texte et rien n'est moins certain. La multiplication de rapports accablants Amnesty International a, elle aussi, publié un rapport accablant sur l'offensive israélienne à Ghaza, accusant à la fois Israël et le groupe palestinien Hamas de «crimes de guerre». Amnesty nie en revanche que le Hamas ou d'autres groupes armés palestiniens se soient servis de la population comme bouclier humain. Le Hamas et les groupes armés palestiniens, peut-on lire, ont tiré des centaines de roquettes contre le territoire israélien, qui ont fait trois morts civils, alors que six militaires étaient tués lors de l'opération, et ont provoqué un exode de centaines de milliers d'habitants du sud d'Israël. Le rapport est un véritable acte d'accusation contre Israël et son armée et confirme le bilan palestinien de 1 400 morts et quelque 5 000 blessés, de même que la destruction de larges secteurs de Ghaza (dont 2 700 bâtiments). Elle accuse l'armée israélienne de n'avoir pas distingué entre cibles civiles et militaires, avec pour résultat la «mort de centaines de civils désarmés, dont 300 enfants, 115 femmes et 85 hommes âgés de plus de 50 ans». L'ONG reproche à Israël d'avoir tiré des obus au phosphore blanc au-dessus de zones à grande densité de population, provoquant de graves brûlures, parfois mortelles. Amnesty renouvelle son appel à un embargo «total et immédiat» sur les armes à destination aussi bien d'Israël que du Hamas. Amnesty International demande aux Etats partout dans le monde d'engager des poursuites judiciaires et d'arrêter les auteurs suspectés de ces crimes. Rappelons également que l'offensive israélienne contre Ghaza a causé des pertes économiques de 4 milliards de dollars (2,79 milliards d'euros) selon un rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) publié le même jour que celui de Goldstone. Le montant de ces pertes directes et indirectes représente «trois fois la taille de l'économie de Ghaza», a relevé le coordinateur du programme d'assistance de la CNUCED au peuple palestinien, Mahmoud Elkhafif. Sur ces 4 milliards de dollars, «un milliard environ correspond au coût des mesures destinées à atténuer l'impact humanitaire de la campagne militaire», précise la CNUCED. De son côté, l'arrêt complet de l'activité économique pendant l'offensive israélienne a entraîné une perte de PIB estimée à 88 millions de dollars. Autre rapport, autre catastrophe constatée pour les Palestiniens de Ghaza. L'environnement n'a évidemment pas été épargné, ainsi que le dénonce le rapport intitulé Environmental Assessment of the Gaza Strip following the escalation of hostilities in December 2008-January 2009. Publié par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) sur la situation environnementale dans la bande de Ghaza après la fin des hostilités, ce rapport relève que les réserves d'eau souterraine, dont dépendent 1,5 million de Palestiniens pour l'eau potable et l'agriculture, risquent de s'effondrer en raison de nombreuses années d'extraction excessive et de la pollution qui a été aggravée par le dernier conflit. Les taux de pollution de l'eau dans la bande de Ghaza sont tels que les nourrissons risquent l'empoisonnement aux nitrates. Le PNUE estime le coût du rétablissement de la nappe phréatique -qui inclut l'installation d'usines de désalinisation pour réduire la pression sur les réserves d'eau souterraine- à bien plus de 1,5 milliard de dollars sur 20 ans. D'autres chiffres méritent d'être cités. Il faudra plus de 7 millions de dollars pour éliminer les 600 000 tonnes de débris générés par les bombardements, 11 millions de dollars pour couvrir l'impact des bombardements sur les 17% des terres cultivables, 40 millions de dollars pour construire de nouveaux centres de gestion des déchets solides détruits pendant la guerre. La reconstruction attend toujours En 2008, l'économie palestinienne a perdu du terrain pour la neuvième année consécutive. En effet, si la croissance économique est restée positive avec un taux de croissance du PIB de 2% (contre 4,9% en 2007), le PIB par habitant a subi un recul de 1,2%. Dans son rapport, la CNUCED regrette que l'annonce faite en mars 2009 à la Conférence de Charm El Cheikh et faisant état de 4,5 milliards de dollars de dons destinés à soutenir le plan de redressement soit restée une simple déclaration d'intention. Rien n'a été débloqué. La CNUCED, qui suit depuis 25 ans l'évolution économique des territoires palestiniens, estime que «la situation actuelle est la pire que la bande de Ghaza ait connue depuis 1967 sur les plans de la sécurité économique […] et des conditions de vie». En mars dernier, une date qui paraît tellement lointaine, l'Arabie saoudite avait promis un milliard de dollars, les Etats-Unis 900 millions, l'Union européenne 556 millions. Cela dit, un responsable de la Ligue arabe avait reconnu sous le couvert de l'anonymat que la promesse saoudienne, comme celles du Qatar (250 millions de dollars) et de l'Algérie (100 millions), ne s'était pas encore concrétisée à cause des désaccords Hamas-Fatah. Entre février et avril 2009, environ 65% des denrées entrant dans Ghaza étaient alimentaires, et 86% d'entre elles restreintes à sept aliments basiques. Des produits de large consommation comme les macaronis ou les dattes étaient interdits. Il a fallu l'intervention d'officiels et de sénateurs américains pour qu'Israël autorise l'entrée de ces produits dans Ghaza, après un délai de plusieurs semaines. Ironique, un sénateur américain en visite à Ghaza en février 2009 a demandé à quand remontait la dernière explosion de bombes de lentilles… En mars 2009, Israël a empêché l'entrée dans Ghaza de colis alimentaires financés par les Etats-Unis, parce qu'ils contenaient du thon en boîte, des biscuits et de la confiture. Depuis lors et sous pression américaine, ils ont donc été ajoutés à une longue liste de biens «en cours d'évaluation», incluant notamment des jouets en bois, ou des kits de mathématiques et de sciences. Selon les estimations du Fonds monétaire international, l'interdiction de l'entrée d'argent liquide dans Ghaza affaiblit l'économie et affecte les moyens de subsistance d'environ un demi-million de Ghazaouis. La circulation des personnes est également soumise à de lourdes restrictions ; celles qui sont autorisées à sortir (principalement les personnes très gravement malades et quelques étudiants) ne représentent qu'une infime minorité de la population. Les contacts directs entre les Palestiniens de Cisjordanie, y compris El Qods-Est, et les Palestiniens de Ghaza ont été rendus pratiquement impossibles. Pour le premier semestre 2009, le chômage est estimé à 18% en Cisjordanie, mais à 37% à Ghaza. D'autre part, alors que la plupart des Palestiniens vivant en Cisjordanie ont bénéficié de la diminution des barrages routiers et des «check-points», ceux vivant à El Qods-Est ont été davantage isolés du reste des territoires avec la progression de la «barrière de sécurité» (qui y prend la forme d'un mur de béton), y compris sur le plan économique. L'agriculture est l'unique source de revenus pour beaucoup de familles de Ghaza. Les destructions récentes ont éprouvé quelque 13 000 familles qui dépendent directement de l'exploitation agricole, de l'élevage et de la pêche pour leur subsistance. Des fermes entières ont été détruites. Pour redémarrer, les fermiers ont besoin que l'entrée de matériaux agricoles à destination de Ghaza soit autorisée en quantités suffisantes. Là est la réalité. Une bande côtière surpeuplée et moribonde. Une Cisjordanie en pleine colonisation, qui progressivement change d'identité. Et des rapports qui se succèdent, dénonçant globalement les mêmes crimes et maintenant les mêmes impunités. L. A. H.