Le royaume est en «guerre» contre une présumée menace chiite. Après la rupture des relations avec l'Iran, une école irakienne a été fermée et des dizaines de Marocains ont été arrêtés pour «sympathie» présumée à l'égard du chiisme. La légèreté des accusations confirme qu'on est dans la diversion politique. L'école irakienne complémentaire de Rabat, en activité depuis 1977, a été fermée par les autorités marocaines sous l'accusation d'enseigner « insidieusement » le chiisme. En trente-deux ans d'activité, l'école, créée en vertu d'un protocole culturel entre l'Irak et le Maroc, n'a jamais fait l'objet de telles accusations. L'école est victime de la décision des autorités marocaines, qui ont rompu les relations diplomatiques avec l'Iran, de faire feu de tout bois contre une menace chiite qui laisse dubitatif. La « menace » a été vulgairement construite et mise en avant dans les pays du Golfe en raison de la popularité du Hezbollah après la guerre israélienne contre le Liban. Le ministère de l'Education nationale marocain a découvert, trois décennies plus tard, que l'école irakienne n'était pas conforme « aux dispositions du statut de l'enseignement privé au Maroc ». Le terrain a été préparé par la presse marocaine qui a fortement médiatisé une plainte d'un citoyen irakien affirmant que ses trois enfants ont été renvoyés de l'école pour « motif confessionnel », et auraient été battus et obligés d'étudier dans des livres chiites non prévus dans le programme scolaire. L'assertion a été démentie par la directrice de l'école. Les choses se sont passées de manière brutale, à en croire une lettre au Roi du Maroc publiée sur le site irakien « Kika », par un journaliste et écrivain irakien, établi au Maroc, Fayçal Abdelhassen. Descente militaire «Nous avons été surpris, le samedi 21 mars, par une descente militaire marocaine à l'école irakienne de Rabat ainsi que des forces spéciales et des services de renseignements d'Etat». Le drapeau irakien a été descendu, l'enseigne de l'école enlevée et la directrice, détentrice d'un passeport diplomatique, arrêtée et interrogée. L'auteur de la lettre raconte par le menu l'incident opposant l'irakien, auteur des accusations relayées par la presse, pour suggérer que l'école diffuse le chiisme. « Sa fille a eu un petit accident en jouant dans la cour de l'école, blessée au talon, la jeune fille a été soignée. Le père est allé à la presse raconter une histoire étrange affirmant que l'école diffuse le chiisme au Maroc. Il faut savoir que la directrice de l'école est sunnite et d'une famille connue à Al-Adhamieh, tout comme cet irakien est sunnite... et de Falloudja. Je n'aime pas évoquer le confessionnalisme, mais je dis cela pour clarifier. Il semble que la presse a toujours besoin d'une histoire... Pour accompagner la rupture des relations entre l'Iran et le Maroc, ils ont transformé la directrice en chiite et en agent du parti de la Daawa...». Après l'Iran, l'Irak ? En fait, selon les Irakiens, le père en question voulait la peau de la directrice, les officiels marocains, en quête de preuve de « complot » chiite, ont saisi l'aubaine et en ont profité pour liquider l'école. 400 élèves et 33 enseignants se retrouvent sans école et l'affaire risque de créer une tension avec le gouvernement irakien. Cela compte peu. L'affaire semble bien cousue de fil blanc. Apparemment, au Maroc, après la rupture avec l'Iran, on n'est pas loin de penser qu'il faut aller dans le même sens avec l'Irak où les chiites, majoritaires, sont au pouvoir. Rabat qui se drape dans le nouveau rôle de défenseur d'avant-garde du sunnisme contre le chiisme, reproduit, tout haut, la thèse des dirigeants du Golfe selon laquelle l'Irak est devenue une base iranienne. Tant pis si, dans les faits, l'Irak est un pays sous contrôle des Etats-Unis, grand ennemi de l'Iran. La proximité de l'affaire avec la rupture des relations avec l'Iran accrédite fortement la thèse de la grande diversion stratégique, destinée à faire de l'Iran, l'ennemi principal. Le problème est que même au Maroc, peu de gens croient à une « menace chiite » même si des Marocains, peu nombreux, peuvent y être sensibles. Les estimations les plus élevées évoquent quelque 3.000 Marocains chiites. Rien de comparable avec l'activité évangéliste au Maroc où, selon certaines sources, il y aurait eu plus de 40.000 conversions. Chasse aux sorcières Le gouvernement marocain va sans doute continuer sa «guerre» contre une «menace chiite» qui n'existe pas, mais qui plait considérablement aux royautés du Golfe. Ce sont ces monarchies, pour des raisons platement politiques, souvent liées au refus de reconnaître l'égalité des droits à leurs citoyens chiites, qui ont oeuvré à la fabriquer. Même l'imam Al-Qaradhaoui a apporté sa contribution à la fabrication de cette menace. En Algérie, également, des écrits ont été publiés sur une supposée diffusion du chiisme. Au Maroc, cela semble tourner à une nouvelle forme de chasse aux sorcières. La presse marocaine fait état de l'arrestation de dizaines de personnes à Tanger, Essaouira, Ouazzane, sous l'accusation de «sympathie» pour le chiisme. L'accusation de «sympathie» a de quoi faire frémir, car elle peut être invoquée sans besoin de preuve qu'il y a une entreprise délictueuse. Les services de sécurité ont lancé une campagne de saisie de publications soupçonnées de diffuser les idées chiites. Le ministère de l'Intérieur marocain a fait connaître sa «détermination à faire face avec fermeté et dans le cadre des lois en vigueur, à tous les agissements, écrits et livres visant à porter atteinte aux valeurs religieuses et morales de la société marocaine». On accuse aussi les Iraniens de faire un travail de prosélytisme en direction des Marocains de Belgique. Au Maroc, la maison royale semble décidée à être plus sunnite que tous les islamistes... quitte à en faire trop !