Bagdad et Téhéran enterrent la hache de guerre. À l'occasion de la visite du chef de la diplomatie iranienne en Irak, première du genre, ils ont décidé de normaliser leurs relations, très tendues jusqu'ici. Le courant entre les deux pays ne s'est rétabli qu'après la victoire des chiites à Bagdad, où cette communauté s'est adjugée l'essentiel du pouvoir, même si elle le partage avec les Kurdes et, accessoirement, les sunnites. Le chef de la diplomatie irakienne a même qualifié la visite de son homologue iranien de message politique fort inaugurant une ère nouvelle entre deux pays farouchement opposés sous le régime de Saddam Hussein par un conflit sanglant de huit années. Après la chute de Saddam, les autorités intérimaires de Bagdad devaient dénoncer sans arrêt les ingérences iraniennes facilitées par le chiisme que les deux pays ont en partage et dont il est difficile de déterminer les singularités. Les villes saintes du chiisme avaient même fermé leurs portes aux fidèles iraniens qui pensaient recommencer leurs traditionnels pèlerinages interdits à l'époque de Saddam. Téhéran, qui jure aujourd'hui ne pas utiliser l'Irak dans sa confrontation avec les Etats-Unis, avait été l'un des premiers pays à reconnaître le gouvernement irakien issu des élections du 30 janvier. Ses autorités n'arrêtent pas d'encenser leurs homologues de Bagdad, faisant l'impasse sur le fait qu'ils doivent cette situation aux Américains. D'ailleurs, pour ne pas effaroucher ces derniers, le ministre iranien n'a pas cessé de renouveler les appels de Téhéran à des relations avec l'Irak dans tous les domaines sur la base de la non-ingérence. La visite iranienne est d'autant plus singulière qu'il s'agit de la première visite effectuée par un ministre des Affaires étrangères arabe ou islamique depuis les élections de janvier. C'est un signe de respect des dirigeants iraniens envers le peuple irakien, insistent, pour leur part, les autorités irakiennes qui, du coup, reconnaissent le poids régional de l'Iran. Téhéran ne cache pas sa volonté de forger une sorte d'axe chiite. Khazari, le chef de sa diplomatie, l'a dit clairement : “Notre coopération avec l'Irak, au-delà de relations historiques, sert les intérêts régionaux de la République islamique.” Le ministre a même conditionné l'aide de son pays à l'Irak à cette stratégie. Les chiites, majoritaires en Iran et en Irak, sont également fortement représentés dans les principautés du Golfe et même en Arabie Saoudite. Alors que Téhéran a accueilli avec soulagement l'Irak post-Saddam, les dirigeants sunnites arabes, comme Abdallah II de Jordanie ou Ben Abdelaziz de l'Arabie Saoudite, manifestaient leur crainte de voir émerger un axe chiite dans la région. Les dignitaires chiites irakiens ont fait leurs écoles en Iran. Ibrahim Al-Jaâfari, le chef du premier gouvernement dominé par les chiites, a passé de longues années d'exil à Téhéran. D. Bouatta