Nicolas Sarkozy a fêté hier l'anniversaire de ses deux premières années de présidence. Deux ans seulement, pas plus ? Vous êtes sûrs ? Malgré une omniprésence médiatique et une agitation perpétuelle, le bilan est très mitigé. Dès son élection, Nicolas Sarkozy a eu le don de diviser les Français en trois catégories tranchées. Les « allergiques » pour qui la personnalité de Sarkozy ne « passe pas ». A gauche comme à droite, il y a des électeurs pour qui la simple évocation du nom crée étranglements, boutons et fièvres, fureur incontrôlée, quasiment de façon irrationnelle. Les « stupéfaits » qui, lors de la campagne présidentielle, ont longtemps été bluffés par un politique atypique. Les « fans »: un grand nombre d'électeurs ont été séduits, voire pour certain envoûtés par les indéniables qualités du candidat. Nicolas Sarkozy a démontré de l'intuition, du flair, un culot d'enfer. Il est, comme son prédécesseur Jacques Chirac (haï d'ailleurs par son successeur), un chef de meute. Il a autour de lui des fidèles dont il connaît les forces et les faiblesses, les qualités intellectuelles mais aussi l'amour du pouvoir et des prébendes. C'est un pragmatique qui ne s'encombre pas d'idéologies. Il sait écouter la vaste multitude et dire à chacun ce qui lui plaira d'entendre. Il maîtrise parfaitement l'art de la communication et il a compris qu'occuper les médias, tous les jours, tous les soirs à 20 heures dans les journaux télévisés, permet de couvrir le terrain des critiques éventuelles qui ont toujours 24 heures de retard. Il sait désorienter l'opposition de gauche en sortant des propositions spectaculaires (qui, bien sûr, n'ont aucune chance d'aboutir). Il a saisi que, dans la société du spectacle, le soutien de chanteurs, de vedettes du cinéma, de footballeurs avait auprès du public infiniment plus de poids que celui d'intellectuels vermoulus, abscons, pétitionnaires et répétitifs. Beaucoup de qualités, encore plus de défauts Bref ! La France s'était donné un président dans l'air du temps. Car le chef de l'Etat n'a jamais hésité à mettre son cœur à nu devant tous les Français. Un coup, il pleure parce qu'il divorce. Deux mois plus tard, il partage avec tous ses concitoyens sa joie de se remarier avec une chanteuse, ex-top-modèle. Quel homme ! Nicolas Sarkozy, candidat, a surtout su très astucieusement prendre conscience et tirer, pendant ses longues périodes ministérielles ou dans les rangs de l'opposition, les leçons de ses échecs de jeune politicien ambitieux. Il en avait le temps ! Le président Sarkozy ne dispose plus de délais identiques. Et le rythme effréné de ses décisions a fait apparaître les défauts de ses qualités. Ces dernières étant innombrables, concentrons-nous sur quelques faiblesses majeures. De Gaulle était austère, dictatorial et pontifiant. Pompidou l'Auvergnat était près de ses sous. Giscard était prétentieux et rancunier. Mitterrand était hypocrite et retors. Jacques Chirac était jovial mais fainéant. Tous les présidents de la Ve République ne se réduisent évidemment pas à leur caricature dans l'opinion. Jacques Chirac, si décrié à la fin de son second mandat, bat aujourd'hui les records de popularité. Allez comprendre... Mais Nicolas Sarkozy restera dans les mémoires comme le « Président bling-bling ». Dès le soir de l'élection, son amour des patrons, réunis en sa présence pour fêter sa victoire dans un bar des Champs-Elysées, de la réussite, du pognon, du fric, du flouze, a surpris désagréablement l'électorat populaire. Ses premières mesures en faveur des plus riches, son discours hyper-libéral, son admiration devant le modèle américain (où, comme on le sait, chacun peut réussir, s'il est riche) ont surpris jusque dans ses rangs parlementaires. La crise économique a pris à contre-pied le Nicolas qui rame depuis pour devenir l'apôtre de l'intervention d'Etat, des dépenses sociales et de la condamnation des « patrons voyous ». Le soutien affiché à la Maison-Blanche, l'alignement sur la politique extérieure américaine, le retour sans conditions dans l'Otan, l'envoi de troupes françaises en Afghanistan ont également irrité. Ces changements de pieds successifs ont interpellé une population qui reste dans ses profondeurs égalitaire, républicaine, jalouse de son indépendance, voire chauvine. L'agacement des Français « Je ne vous décevrai pas ! Je ne vous trahirai pas ! », avait promis le candidat Sarkozy lors d'un meeting de campagne. De 65 à 69% des Français se disent, selon les sondages, aujourd'hui déçus. La désillusion perceptible est à la hauteur des espérances qu'une majorité de Français avaient placées dans le nouveau président. «Travaillez plus et vous gagnerez plus !». A l'heure où l'on va gaillardement vers un million de chômeurs supplémentaires, le slogan de victoire de la campagne présidentielle crée des échos de colère. Enfin, le volontarisme de Nicolas Sarkozy heurte un pays attaché à ses traditions démocratiques. « Il faut aller vite, les réformes que je propose sont nécessaires » répète à l'envi tous les matins le président dans tous les médias qu'il contrôle directement ou indirectement. « Elles sont bonnes, mes réformes, parce que c'est moi qui les propose », indique-t-il souvent comme seul argument. Quitte à changer totalement de discours au gré des évènements. Du coup, cette boulimie de nouveaux textes législatifs bâtis à la hâte, cette absence de débats et de négociations, ce mépris des corps intermédiaires (voire de ses propres ministres !) lui ont mis à dos toutes les catégories sociales : les salariés et les chômeurs bien sûr, mais aussi les cadres, les petits patrons, les artisans, les juges, les médecins, les agriculteurs, les enseignants, les étudiants, les chercheurs, même les militaires et jusqu'aux gardiens de prison ! Il n'y a que les très-très riches qui ne se plaignent pas. En période de crise économique sévère, ce n'est pas un bon signe. Au travail, dans les transports en commun, dans les bistros, l'agacement des Français est perceptible. La grogne se mêle à l'anxiété face à une crise économique que tout le monde pressent très longue. Qu'en sortira-t-il ? Peut-être rien, sinon un peu plus de fatalisme. Pourtant, les grandes manifestations se succèdent. Dans des petites villes françaises, un tiers de la population s'est retrouvée dans la rue. Tous les cortèges sont unitaires : pour la 1ère fois dans l'histoire, toutes les organisations syndicales ont manifesté ensemble le Premier Mai. Des grèves éclatent ici et là, la moitié des universités sont fermées, mais ce mouvement social multiple, divers, bute sur une absence de perspectives. Le gouvernement, qui parie sur le pourrissement, ne lui en donne aucune. Dans le cadre d'une crise économique qui peut brutalement s'intensifier, ce refus du dialogue social est un coup de dés dans un pays, au moins verbalement, frondeur. Dehors, la Turquie ! Nicolas Sarkozy a fêté ses deux années de présidence en faisant, exercice quotidien obligatoire, un grand discours dans la bonne ville de Nîmes. Sur l'Europe. L'Europe, l'Europe... Lors de la crise financière récente, l'Union européenne n'a guère brillé par la cohésion de ses décisions en matière économique : selon les capitales, relance des économies sur fond d'Etat, priorité à la baisse des déficits, davantage d'impôts contre plus de consommation, davantage d'Etat, encore plus de libéralisme et de dérégulation sociale... Chaque pays choisit sa politique et considère dorénavant ses voisins davantage comme des concurrents que comme des partenaires. L'UE est ainsi censée promouvoir la solidarité continentale mais les pays riches ne sont guère enclins à sauver les économies de leurs « Etats-frères » de l'Est européen, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie... C'est dans ce cadre que l'inénarrable président a trouvé utile de rappeler ses fondamentaux dans l'électorat de droite. Il a ainsi dressé un bilan ému des six mois de « sa » présidence française de l'UE, de juillet à décembre 2008. Nicolas Sarkozy veut encore «changer l'Europe». «Est-ce que c'est possible ? Ma réponse est oui : nous l'avons fait pendant la présidence française», a-t-il assuré. «La Géorgie n'a pas été rayée de la carte», «un cessez-le-feu a pu intervenir à Gaza», «l'Europe n'a pas cédé au sauve-qui-peut» dans la crise financière. Quel homme ! Sans nier ses talents, ni son indescriptible énergie, notons tout de même que la Russie a d'elle-même éteint le conflit géorgien, que Gaza a été écrasé sous les bombes et que la totalité des gouvernements des pays développés ont déversé, d'un même mouvement, des tombereaux d'argent public pour calmer la crise financière. Mais pour rassurer les électeurs de l'UMP, Nicolas Sarkozy a mâlement réaffirmé qu'il fallait «dire la vérité à la Turquie». Ce qui signifie en clair de refuser son intégration à l'Union européenne et proposer à la place aux Turcs et aux Russes la création «d'un grand espace de plus de 800 millions d'habitants qui partageraient la même prospérité et la même sécurité». Ce qui permettrait, enfin ! à l'Europe de cesser «de se diluer dans un élargissement sans fin». La Turquie, hélas, candidate depuis 1964, se lasse dorénavant de souhaiter entrer dans l'Union européenne. Elle s'est irritée de la nomination du Danois Rasmussen (qui a joué un rôle actif dans son pays sur l'affaire des « caricatures du Prophète ») comme nouveau secrétaire général de l'OTAN. Elle critique vertement Israël sur l'agression contre Gaza. Elle se rapproche diplomatiquement de la Russie et lui achète des armes. Bref, Ankara fait la tête et n'a pas tout à fait tort. Procès religieux dans un pays laïc Nedim Gursel est un auteur et universitaire turc qui vit et enseigne depuis de nombreuses années en France. Ce romancier, l'un des principaux animateurs du Comité France-Turquie, qui, entre autres, promeut l'entrée de la Turquie dans l'UE, est passé hier, en son absence, devant un tribunal des Affaires religieuses turc pour « atteinte aux valeurs religieuses ». Ce n'est guère sérieux pour une république laïque et qui met « dans l'embarras les amis de la Turquie, ceux, très nombreux, qui accueillent positivement sa candidature dans l'Union européenne », comme le notait une tribune parue dans Libération. Le « chroniqueur de Paris » partage cet avis. Vertige Joaquin Almunia est le Commissaire européen à l'Economie. Resté trop longtemps dans l'ombre, il gagne pourtant à être connu. Annonçant récemment une récession de - 4% dans la zone euro, il s'est voulu rassurant. « Nous ne sommes plus en chute libre », a-t-il crânement affirmé. Cette forte déclaration rappelle deux anecdotes. Celle du suicidaire qui se jette d'un building et qui, arrivé au niveau du 17e étage, constate que « jusque-là, tout va bien ». L'autre souvenir est celui des banquiers de Wall Street qui choisissaient, pendant le krach de 1929, de se défenestrer plutôt que d'affronter la honte de la ruine. Heureusement, nos banquiers modernes ont renoncé à ces tristes fins. Ce n'est pas parce qu'on a fait faillite qu'il faut perdre espoir. C'est ça l'optimisme managérial : « Allons négocier nos indemnités de départ. Avec un petit rab' de stocks-options, si possible. »