«L'Etat a fait du droit à l'eau une réalité pour nos compatriotes, à charge pour les citoyens d'adhérer à leur tour à une démarche solidaire et équitable de valorisation et d'économie de cette ressource rare et fragile», recommande le président de la République. Cette recommandation de Bouteflika a couronné l'exposé que lui a fait le ministre des Ressources en eau sur la réalisation d'infrastructures et de raccordements pour l'alimentation en eau potable (AEP). L'on sait de par les échos qui s'échappent d'El Mouradia que les auditions du président de la République de ses ministres ne sont jamais allées au fond des choses. Le ministre auditionné est «entendu» pendant à peine quelques minutes pour se voir autorisé de rendre public un communiqué qui officiellement sanctionne ce genre d'entrevue. Mais en réalité, le communiqué est rédigé par les services du ministre devant être auditionné avant même qu'il ne rencontre le président. «Le ministre vient avec son communiqué, pour décrocher la permission du président de le rendre public, c'est tout», disent des hauts responsables à la présidence de la République. Débordant de chiffres et de statistiques, mettant en exergue une situation reluisante, le communiqué de Sellal ne raconte pas les déboires de nombreuses populations du pays. C'est peut-être pour cela que le président a estimé qu'après que l'Etat ait respecté son devoir d'assurer l'eau potable au citoyen, ce dernier se doit de le lui rendre bien en rationalisant la ressource et en s'acquittant de ses redevances. Abdelmalek Sellal n'a pas dit au chef de l'Etat qu'à l'ouest du pays, les populations peinent pour étancher leur soif. Une grande publicité a été faite à la réalisation de raccordements faits à partir de barrages pour alimenter les régions de Mostaganem, Arzew et Oran. C'est le fameux MAO qui a fait tant parler de lui mais dont l'opérationnalité est très aléatoire. Plusieurs dates ont été avancées par le ministère depuis la dernière visite de Sellal à Mostaganem. Mais aucune n'a été suivie d'effet. Mostaganem, Oran, Chlef, Relizane, El-Khemis et autres Aïn Defla, Saïda ou Tiaret n'ont pas eu droit au chapitre de l'eau courante tant vantée par la tutelle. En tout cas, leurs populations ne se reconnaissent dans les termes du communiqué sanctionnant l'audition de Sellal par Bouteflika. «Les responsables ne s'ententent pas entre eux» L'eau manque terriblement dans ces régions. C'est d'autant plus ressenti quand on y séjourne en pleine saison estivale où la canicule fait des poussées insoutenables. «Je l'ai appelé à 7h du matin mais il est 11h et il n'est toujours pas là», s'est plaint un citoyen de Chlef au sujet du vendeur d'eau. Ces vendeurs qui «livrent» quotidiennement des citernes d'eau aux ménages et dans tous les quartiers de la ville. L'eau qu'on arrive rarement à voir couler des robinets de Chlef, a, qu'on n'oublie pas de le dire, un goût saumâtre, désagréable. Mais «pourvu qu'on l'ait !», disent les citoyens. Pour boire et cuisiner, les populations se voient obliger de remplir leurs jerricans d'une source «Aïn Bouchakour» coulant pas loin du mausolée de Sidi Maâmar, près de Ouled Farès, à la sortie nord de la ville. «C'est le seul moyen de consommer de l'eau potable, l'eau minérale coûte cher quand on l'achète pour toute une famille», nous dit cet Asnami. L'eau des citernes est en général achetée pour les besoins des tâches ménagères. Ainsi va la vie dans une ville - Chlef - qui meurt de soif. Nombreux sont ses habitants qui racontent que «ces coupures éternelles d'eau peuvent être l'oeuvre de responsables qui ne s'entendent pas entre eux». Il est souvent fait état d'excès de zèle ou d'abus de pouvoirs de la part de certains d'entre eux pour gérer une ressource «comme ça leur plaît». On a aussi souvent entendu dire que «parfois des coupures durent de longues semaines parce que celui qui ouvre la vanne n'avait pas envie de le faire, tout simplement !» L'horreur du manque d'eau est terriblement ressentie en été où la chaleur atteind des pics inimaginables. A chaque fois que le robinet est ouvert, un souffle en sort comme un long soupir. «C'est un filet qu'on nous lâche quand ils en ont envie», disent les malheureux citoyens qui se sont presque tous endettés pour s'équiper de sur-presseurs, ce genre de moteurs pour faire augmenter le débit de l'eau, le temps que les responsables daignent la laisser couler. En plus de la population sonore qui hante les quartiers à des heures indues de la nuit (puisque l'eau arrive en général en plein nuit), les factures d'électricité honorent bien les maigres bourses. Ceci, sans compter avec le délestage qui transforme les chalets de la ville en boule de feu. Une situation qui fait pleurer Chlef n'est pas l'exception qui viendrait confirmer la règle du droit à l'eau vantée par le communiqué de Sellal. Mostaganem est cette jolie ville qui en manque aussi. Qu'on se trouve à Tijdit, ou à Chemouma, deux quartiers loin l'un de l'autre, le premier situé un peu vers l'ouest de la ville, le second à sa sortie est, on en souffre quotidiennement tout autant que tous les autres quartiers. Les invités au colloque sur le centenaire de la voie soufie Alâawiyya organisé à la fin du mois de juillet dernier ont en (re)parlé avec la gorge serrée. Logés dans leur majorité à la cité universitaire nouvellement construite à Chemouma, ils n'avaient pas droit à l'eau. La ressource était rationnée d'une manière irresponsable. Les odeurs que dégageaient les sanitaires donnaient la nausée. L'état de pourrissement dans lequel était cette cité universitaire qui pourtant venait d'ouvrir ses portes pour la première fois pour loger les invités de la Alâawiyya, laissait constamment planer des risques de maladies. «Ma fille m'a presque fait une dépression parce qu'il n'y a pas d'eau, où alors on l'a à des heures impossibles», racontait cette maman offusquée. Tijdit est ce quartier où les familles s'entourent de jerricans, de bassines et de bouteilles pour pouvoir boire. «On ne sait jamais quand ils décident de la lâcher, l'eau arrive à 2h ou 3 h du matin», nous raconte cette mère de famille qui avait reçu beaucoup de monde mais n'avait plus d'eau chez elle malgré les récipients de tous les gabarits qui squattaient les espaces de son petit appartement. On raconte pour l'anecdote, que pour ne pas rater le rendez-vous avec l'eau qui a lieu en général au milieu de la nuit, les femmes plaçaient le tuyau entre le gros et le 2e orteil de leur pied. «Comme ça, dès que l'eau arrive, le tuyau bouge, ça nous réveille et on commence à remplir tout ce qui nous tombe sur la main», nous dit Lamaria qui habite non loin de la zaouïa Alâawiyya. Sellal ne doit peut-être pas savoir comment l'eau est-elle rationnée pour les petites gens. Il aurait eu certainement le mot pour rire pour expliquer une situation qui fait pleurer...