Un, les mauvais perdants: on les aimait parce qu'ils étaient amusants, créatifs, parce qu'ils avaient meublé nos foyers et nos adolescences et parce qu'on croyait vraiment qu'ils ressemblaient à leurs feuilletons et à leurs mythes et chanteurs tellement immortels qu'on peut les croiser rien qu'en regardant les étoiles les nuits du ramadan. On découvre qu'ils sont vaniteux, nombrilistes, mauvais perdants et fanatiques. Le fiel égyptien après le match gagné par l'Algérie est sans commune mesure avec l'esprit du sport et les bonnes moeurs de l'arabité et du bon voisinage. Vu, lu et entendu sur tous les canaux de l'empire médiatique égyptien, un flot incroyable d'insultes, de théories de suprématie raciste, de haines et de mensonges. On y est traité de fellagas, de bâtards de la France, de barbares, etc. Des insultes qui ont fini par tracer le portrait d'une certaine Egypte qui se croit supérieure aux autres pays arabes, chargée de mission de la cause commune, représentante de la culture panarabe et civilisatrice des bédouins périphériques. Le pire est que ce flot d'insultes de mauvais perdants sort de la bouche de gens que notre admiration avait rehaussé à l'altitude d'icônes: des acteurs célèbres et des imams condescendants, références des islamismes importés, ont cédé au courant de l'invective. Même les admirateurs béats d'El-Qaradaoui ont fini par constater qu'il était beaucoup plus égyptien que guide «universel» quand il le faut. «Si c'est cela l'arabité, gardez-là», répètent les Algériens. Deux, zéro pour le fils. Le match avait été investi par les deux pays, mais encore plus par l'Egypte, par un lourd calcul politique. Dans des pays à régimes autoritaires, se servant du populisme comme bête de somme, le foot sert de palliatif émotionnel très utile. Il ne faut pas être chaman pour comprendre que celui qui a le plus perdu dans cette affaire, ce n'est pas le peuple égyptien qui se fait manipuler, c'est le fils de Moubarak. C'est cet héritier qui vient de rater son plébiscite et son triomphe. C'est la famille Moubarak qui se retrouve aujourd'hui confrontée à sa plus grosse crise. Et c'est ce qui explique, en plus de la névrose de la supériorité raciale, le subtil déplacement de la colère de la rue égyptienne. Le dos de l'Algérie est le dernier bouclier de la famille Moubarak et l'étonnante réaction diplomatique et médiatique de ce pays qui oublie ses actes pour se présenter en victime, est une sale manipulation qui aura ses lourdes conséquences. Trois, la joie. Il y a des choses dans la vie qui restent indescriptibles. Dont la joie. Ou la mort. La seconde plus grosse fête depuis l'indépendance ne peut pas être décrite. Tellement et si bien que les Algériens n'arrivent pas à redescendre sur terre depuis trois jours. Suspendus dans les airs avec des drapeaux, des ballons et des chants qui les empêchent de tomber. On se met à rêver, fous, d'un match sans fin contre toutes les adversités possibles, contre le mauvais sort et des buts à poursuivre le long de toutes les réincarnations. Le chroniqueur le répète: il suffit de rien pour vivre un autre pays et l'avoir dans les bras et pas sur le dos. Jamais de souvenir des enfants de l'indépendance, on a vu autant de joie sur les visages de nos femmes, enfin libres. Femmes moitiés du pays et pas moitiés des hommes. On fera ce que l'on voudra des restes de cette joie, on pourra l'acheter, la manipuler, lui faire dire des bêtises de soutiens politiques ou lui faire endosser des quatrièmes mandats, elle est déjà loin au-dessus du pipeline et des magasins «alimentation générale», à la strate supérieure du patrimoine commun. Il s'agit de ne jamais oublier cette semaine. De ne pas la gâcher. D'en faire un départ sans fin. De la partager équitablement. De ne pas la salir. Et de s'en souvenir à chaque fois que la tristesse nous menace ou que le pain et la justice nous manquent ou que la colère, les uns contre les autres, nous emporte. On peut rebâtir un pays sur des applaudissements. Et se dire: Dieu ! On s'accepte enfin ! On accepte enfin notre algérianité. Et ça, personne ne peut nous le voler ni le salir avec ses caries dentaires.