«Que la République était belle sous l'Empire.»Alphonse Aulard En recevant le 10 décembre 2009 le prix Nobel de la Paix, le Président Obama a choisi, dans son allocution de récipiendaire, d'affronter la contestation qui a accueilli, un peu partout dans le monde, sa distinction. Il lui est reproché de n'avoir encore rien prouvé de sa capacité d'oeuvrer à la paix ou pour le moins de s'engager résolument sur son chemin. Et sa récente décision de renforcer la présence américaine en Afghanistan par l'envoi de trente mille soldats supplémentaires a conforté ses détracteurs et fragilisé les positions de ses admirateurs. Le Président américain, désormais surnommé «Le Président en Guerre», a construit toute sa défense sur le rapport dialectique entre guerre et paix, prononçant au cours de son intervention quarante-cinq fois (45) le premier terme et trente fois (30) le second. Et sans reprendre la métaphore de l'axe du mal il ne dresse pas moins la scène d'un drame politique dans lequel il stigmatise la source du mal qui oblige le monde libre à recourir malgré lui à l'usage honni de la violence. Il s'indigne devant l'angoisse d'une telle situation et fait appel à une mémoire blessée qui ne doit s'autoriser aucune négligence devant une adversaire qui est déjà passé à l'acte. Et s'il reconnaît que la guerre est toujours horrible, il soutient qu'il existe, malheureusement, des guerres justes. En parfait ventriloque, il considère que toute menace de l'ordre mondial ne peut s'apparenter qu'à une entreprise malfaisante et doit renforcer la main qui doit l'arrêter. Ces propos auraient pu être tenus par Bush qui dès le 15 septembre 2001 avait annoncé: «la guerre a été déclarée à l'Amérique et nous répondrons en conséquence». Mais contrairement à une guerre classique, la riposte n'était pas envisagée contre une autre armée mais contre un réseau diffus ; la rhétorique des bons contre les méchants était désormais en marche. L'imprécision du concept le rend docile à tout usage opportuniste et l'extrême sensibilité des gens à la destructivité fait le reste. Obama peut alors conclure dans une logique apparente: «Les outils de guerre ont un rôle à jouer pour préserver la paix». On peut difficilement contenir sa déception quand on se rappelle l'immense espoir et l'enthousiasme enivrant provoqués par sa fraîcheur, sa nouveauté, par ses promesses «de guérir la nation», «de réparer le monde», de s'engager sur «la voie de lumière vers la liberté dans la plus ténébreuse des nuits». Par tout ce qu'autorisait le nouveau sésame «Yes We can». Mais en fait «nous» c'est qui ? Le concept de parole politique évoque immanquablement un rapport à la vérité dans l'opinion publique(1). Mais dans les faits la parole politique ne cherche pas à être vraie, elle cherche seulement à être crédible. «La véracité n'a jamais figuré au nombre des vertus politiques»(2). Elle n'est qu'une option pour le discours politique, si elle concourt à sa rentabilité. La séduction, il est évident, prime sur la conviction. Les promesses sont un moyen de briguer la faveur des autres et toute leur légitimité tient à la seule prétention de leur auteur. Avant l'épreuve des faits, les rapports politiques sont alors fondés sur une présomption de vertu, de compétence et de lucidité. Ainsi le message du Président Obama s'inscrit pleinement dans l'argumentation orientée telle que décrite par Philippe Breton et Serge Proulx dans leur ouvrage l'explosion de la communication: «Les techniques utilisées consistent à amplifier certains aspects et à en minimiser d'autres. Il s'agit ici de mettre en valeur les qualités d'un message ou d'un candidat, à prétendre par exemple avoir pris sous la contrainte une décision impopulaire, mais être l'instigateur de celle dont on peut tirer un bénéfice. L'information orientée n'est pas à proprement parler «menteuse», elle représente une promotion des dimensions du réel qui sont les plus favorables à l'émetteur du message»(3). Et si ces dimensions du réel étaient inconsciemment partagées par les destinataires du message ? Anatole France écrivait dans «La vie en fleurs»: «J'aime la vérité, je crois que l'humanité en a besoin ; mais elle a bien plus grand besoin encore du mensonge qui la flatte, la console, lui donne des espérances infinies ; sans le mensonge, elle périrait de désespoir et d'ennui»(4). Alors plus que promouvoir certaines dimensions du réel, les mots sont le moyen de quitter le domaine des choses réelles. La plasticité de la parole politique la rend capable de servir toutes les causes ; et la chimère est avant tout un être verbal. Mais le diseur de la parole politique en est-il l'auteur ? ou n'en est-il que le porteur ? La mission impériale de Etats-Unis ne tient pas et n'a jamais tenu à la personne d'un Président, aussi prestigieux fût-il. Et dans l'Empire du capital mondialisé(5) le langage du porte-parole ne peut être anomal. Des formules savamment balancées mais sans conséquence suffisent à réhabiliter sa marque. Dans un monde privatisé les valeurs affichées ont bien plus d'importance que la vérité des faits, les grands mots et les injonctions morales évitent la mise en place de dispositifs concrets pour atteindre les finalités humaines. Ce monde fait appel à l'émotion pour masquer toutes les richesses du possible. «Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'opinion»(6). Alors oui, nous pouvons... continuer à croire ; car les «faits ne pénètrent pas dans le monde où habitent les croyances»(6). Notes : (1) Charaudeau, Patrick, Petit traité de politique à l'usage du citoyen, Vuibert, Paris, 2008. (2) Arendt, Hannah, La crise de la culture, Gallimard, Paris, 1972. (3) Breton Philippe et Proulx Serge, L'explosion de la communication, Casbah, Alger, 2000. (4) France Anatole, La vie en fleurs, www.horas.com (5) Ziegler Jean, Les nouveaux maîtres du monde, Fayard, Paris, 2002 (6) Paul Valery, www. paulvalery.fr