Accroupi près d'une enclume à même le sol, le forgeron battait le fer rougi à blanc. Le foyer, à portée de bras, grésillait sous l'effet du soufflet. Son métier, légué de père en fils, touchait à tout : forge, serrurerie, bijouterie et coutellerie. Le fameux couteau bou-sâadi, relique guerrière de la résistance sanglante à l'occupation coloniale de novembre 1849, est né dans ces antres. Cet art ancestral, faisait d'une matière ferreuse inerte, un objet animé dans la main de l'homme : la houe ou intrépide: la Kh'lala (peigne à main) dans celle de la femme pour son tissage. Faux, faucilles et socs étaient autant d'articles manufacturés qu'il confectionnait à la demande. L'acier qu'il récupérait des lames de ressorts des engins automobiles, des râpes, la corne et le bois de laurier rose, sont, les seuls objets dont il en tirait la matière d'œuvre. L'échoppe, un sombre petit local, illuminée par le foyer incandescent alimenté, par une grosse bûche de bois de chêne est son univers. Il façonne l'objet projeté dans sa tête, il est le seul à savoir ce qu'il doit usiner en bout de chaîne. Le jeune apprenti est toujours là, il est occupé à tirer sur la cordelette du soufflet, instrument fait de deux planches en forme de poire solidarisées par une peau de chèvre tannée. Fonctionnant sur le principe de l'accordéon, il insufflait l'air au moyen d'un embout métallique pour raviver la braise. Les volutes de fumée montantes, faisaient «pleurer» le novice. Ferrer les chevaux, est probablement, la plus noble de ses missions. Après avoir battu à plat le fer chauffé, tenu par deux grosses pinces, il lui donnera la forme du sabot dont il aura préalablement pris l'empreinte. Le chuintement du fer, encore rouge, dans un récipient plein d'eau, annonce la fin du façonnage. L'animal est avancé au pas de la porte et c'est à l'extérieur de l'atelier que se poursuivra l'opération. Enfilant son tablier de cuir, le forgeron pliera la patte du cheval ou du mulet et l'enserrera entre ses propres jambes. Courbé, il entamera son œuvre. Muni d'un coutelas, il préparera le sabot en le raclant pour le rendre propre à la pose. Après l'ajustage du fer sur le sabot, il sortira de sa besace des clous avec lesquels, il fixera l'armature. L'opération se terminera par la mise à niveau, au coutelas, de la corne du sabot avec la courbure du fer. Il raclera à la lime la pointe des clous qui auront transpercé le sabot. Plein de bonheur, il jettera un regard à l'heureux propriétaire satisfait, voulant probablement dire : «Tu vois .un travail de maître !». Le plus surprenant, aura été la docilité de la bête. A leur sortie de la forge, les fers du harnachement, bride et étriers, seront confiés au sellier pour les cuirs. Quant à la serrurerie, elle n'avait pas de secret pour les mains expertes du forgeron. Façonner une clé ou copier une autre ne demandait que peu de temps. En acier ou en cuivre, elle était immensément grande ; prise par l'anse, elle pouvait constituer une arme redoutable. Le noctambule, enfouissait la clé dans la large poche de son ample pantalon ; il pouvait s'en servir, comme moyen de défense en cas d'agression. Les ventaux de poutre de palmiers, ne pouvaient êtres sustentés que par des gonds et charnières fabriqués manuellement. Le travail de l'or et de l'argent, occupait une bonne partie du temps de la forge. L'œuvre sortait généralement des moulages. Un ingénieux système de prise d'empreinte se faisait dans un amalgame de terre poudreuse mixée avec de l'huile moteur brûlée. La pâte ainsi obtenue, remplissait deux gabarits d'aluminium en forme de bouteille. Après le retrait de l'objet enserré par les gabarits, la coulée du métal en fusion se faisait par le goulot. Après désincarcération, le bijou subissait la suppression des scories et le polissage. Accès sud de la vieille médina. Haret Ech-Chorfa, est un des quartiers de la cité médiévale de Bou Saada. Ses maisonnettes à un seul étage, se serrent les unes aux autres pour constituer la partie basse du Ksar. Le matériau, fait de chaux éteinte et de sable, constituait le mortier pour sceller la pierre ou crépir le mur de « toub » (brique d'argile séchée). Le bâti ainsi obtenu, aura traversé le temps. Etroites et tortueuses, ses venelles montantes, sont un véritable labyrinthe pour les non-initiés. L'étroitesse des accès, participait du souci de réduire l'exposition à la réverbération solaire en procurant de la fraîcheur et de limiter les risques de razzia montée. Le quartier dispose d'une large place commune de forme quadrilatérale, elle est traversée par une rue qui dévale du centre ville pour aboutir à la palmeraie. Les lieux auront toujours abrité la dizaine d'échoppes de l'artisanat martial. Egayée par le tintement des marteaux qui battaient le fer dans un profane tocsin, le quartier pulsait à la vie. Il s'y trouvait aussi, une grande écurie qui servait en même temps de fondouk (gîte) pour les voyageurs. Une borne fontaine trônait au milieu de la place, elle servait d'abreuvoir aux bêtes. L'implantation de cette archaïque industrie, justement là, n'est probablement pas fortuite. Le quartier des Chorfa, est certainement le fief le plus chargé d'Histoire pour avoir abrité une grande figure nationale en la personne, de l'Emir El Hachemi ben Abdelkader Al Djazairi. Il séjournera, à son retour de Damas, pays d'exil de la famille princière, dans la maison du hassanite Azzedine de 1886 à 1902, date à laquelle il s'éteindra. Il sera inhumé à quelques mètres plus loin, dans un petit cimetière sur le chemin muletier qui mène à l'oued. La palmeraie qui longe le cours d'eau sur ses deux berges, est sans nul doute, le motif qui a suscité la création de forges pour mieux répondre aux besoins d'outillage des vergers. L'un de ces vergers appartenait, au peintre orientaliste converti à l'islam : Edouard Verschaffelt. Le métier de la forge, a été de tout temps, l'exclusive des Souamaâ, grande tribu du Hodna. Transmis de génération en génération, les clans Douffi et Bedka en ont fait, un moyen de subsistance, Il a survécu, grâce à l'opiniâtreté de quelques descendants, à travers les travaux de ferronnerie et d'artisanat d'art. Les artisans regroupés, présentement, dans une association corporative, se sont trouvés des vocations de restaurateurs d'objets d'art. Sollicités dans le travail du bronze, ils participent à la duplication et à la confection de la serrurerie des vieux palais ottomans d'Alger. Il est bien dommage, que le centre crée à l'effet de préserver les arts traditionnels populaires, ne soit pas encore ouvert à l'activité en dépit de l'achèvement des travaux. Il est établi que cette société agropastorale, n'a pas attendu que le l'ère industrielle pointe le nez pour satisfaire à ses besoins en outillages agraire et domestique. Même archaïque, la manufacture répondait aux diverses sollicitations des activités sociale et économique oasiennes d'alors.