Décidément, l'affaire de la verbalisation d'une femme portant un niqab, alors qu'elle conduisait une voiture, début avril à Nantes, déchaîne la polémique au sein de la classe politique en France. Après la passe d'armes entre le gouvernement et l'opposition, c'est autour de Tariq Ramadan, un intellectuel, professeur et universitaire suisse d'origine égyptienne, de s'en prendre avec virulence au ministre français de l'Intérieur, Brice Hortefeux. «Etre polygame, c'est illégal et cela ne se fait pas, c'est la loi qui le dit, mais depuis quand un ministre vient dire: on va lui retirer sa nationalité?», a affirmé, dimanche, Tariq Ramadan devant près d'un millier de personnes venues assister à une conférence à la mosquée Arrahma, située près de Nantes, sur le thème «Vivre ensemble». «Avec des politiques de cette nature, ce sont les valeurs de la France qu'on trahit. Brice Hortefeux trahit les valeurs de la France. M. Hortefeux, c'est vous qui trahissez les valeurs de la France!», a encore dit le conférencier. Brice Hortefeux avait demandé au ministre de l'Intégration, Eric Besson de mener une enquête sur le conjoint présumé de la conductrice au niqab. Le ministre français de l'Intérieur avait menacé le conjoint présumé de la conductrice au niqab, d'être déchu de la nationalité française car soupçonné d'être polygame et d'avoir perçu indûment des allocations sociales. Brice Hortefeux faisait valoir, dans un courrier qu'il «vivrait en situation de polygamie avec quatre femmes dont il aurait eu 12 enfants» et qu'il était soupçonné de fraudes aux aides sociales. Son épouse a protesté, la semaine dernière, contre une amende qui lui avait été infligée par la police pour port du niqab au volant, sous prétexte que le voile intégral réduirait son champ de vision. «On a fait d'une histoire de PV à 22 euros, une controverse nationale, on est dans l'instrumentalisation, dans la surenchère», s'est exclamé Tariq Ramadan à l'adresse des journalistes en marge de la conférence. «C'est finalement le Front National qui fait son beurre», estimant qu'il faut «se prononcer sur les faits» et jugeant les propos de Brice Hortefeux «d'irrationnels». Tariq Ramadan s'est prononcé publiquement contre le port du voile intégral par les musulmanes, en se disant, toutefois, «être contre une loi interdisant son port en France». Tariq Ramadan est engagé, depuis plusieurs années, dans le débat concernant l'Islam en Occident et dans le monde. Expert consultant dans diverses commissions attachées au Parlement de Bruxelles, il participe à divers groupes de travail internationaux se rapportant à l'Islam, à la théologie, à l'éthique, au dialogue interreligieux et interculturel, et plus largement au développement et aux questions sociales. De son côté, Eric Besson a déclaré, hier sur la radio française RTL, que la déchéance de la nationalité française d'un musulman présumé polygame, avait un fondement juridique incertain. «La question qui m'est posée est de savoir si la justice le condamne pour polygamie, d'une part, et fraude aux prestations sociales d'autre part, est-ce que l'on peut et est-ce que l'on doit prononcer la déchéance de la nationalité française (...) qu'il a acquise par mariage?», a affirmé le ministre français de l'immigration. «C'est très controversé, j'ai rencontré hier des experts, certains m'ont dit oui, certains m'ont dit non», a ajouté Eric Besson. «Si le peuple français considère qu'on ne peut pas frauder dans ces conditions, polygamie, fraude aux prestations sociales, eh bien à ce moment-là, sous l'arbitrage du président de la République et du Premier ministre, on pourrait très bien concevoir une évolution législative», a poursuivi M. Besson. Le procureur de la République de Nantes, Xavier Ronsin, a affirmé n'avoir été saisi «à ce jour d'aucune plainte» pour fraude, soulignant en outre que ni ce délit, ni la polygamie n'étaient susceptibles d'entraîner une déchéance de nationalité. M. Ronsin s'était montré prudent car, concernant la polygamie, «si un homme est marié civilement mais a cinq maîtresses, l'adultère n'est plus puni par la loi». A la mairie de Rezé, où réside le conjoint de la conductrice au niqab, aucun acte de mariage n'a été retrouvé dans les registres municipaux. Il est à signaler que les partis français de l'opposition ont accusé le gouvernement d'instrumentaliser cette polémique à des fins électorales. De leur côté, les musulmans s'inquiètent de «la stigmatisation systématique» de l'Islam.