Les Algériens avaient «l'impression» d'être les plus recalés en matière de demandes de visas. Une étude de la Cimade montre, chiffres à l'appui, que c'est une réalité et non une impression. « Visa refusé». Pour de nombreux Algériens, la formule est connue et sert de légende noire au principe, vide de sens, de la libre circulation des personnes. Le refus de visa, qui n'est toujours pas motivé, ne concerne pas que le profil présumé du harrag. Des personnes qui apportent toutes les garanties et les preuves qu'ils ne cherchent pas à s'établir ailleurs reçoivent aussi la réponse de «visa refusé» La Cimade, association de solidarité avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile, a donc été bien inspirée de choisir la formule bureaucratique rodée des services consulaires comme titre à une étude édifiante sur les pratiques des consulats français en matière de délivrance des visas. L'étude a porté sur les pratiques des consulats de six pays (Algérie, Sénégal, Mali, Turquie, Ukraine et Maroc) et elle est absolument édifiante. On peut constater d'emblée que le sentiment des Algériens d'être les plus mal traités par l'administration française n'est pas qu'une simple impression. Les chiffres livrés par la Cimade indiquent que l'Algérie est le pays qui enregistre le plus fort taux de refus de visas de la part de services consulaires français. Le record de rejet revient au consulat français d'Annaba avec un taux de rejet de 47,82% suivi immédiatement par Alger 43,98%. Le taux de refus pour les Algériens «est extrêmement élevé et très nettement supérieur à la moyenne : environ 35% des visas demandés sont refusés alors que le taux de refus moyen était de 9,6% en 2008 pour l'ensemble des consulats de France à l'étranger». Faire du chiffre ? Si le critère de performance du travail des services consulaires est lié au taux de refus, ceux d'Algérie se retrouvent à la bonne place. Ces chiffres confirment en tout cas que la question de la libre circulation des personnes est un contentieux essentiel entre l'Algérie et l'Union européenne (de facto la France, gère pour toute l'Europe les visas pour les maghrébins et de nombreux pays africains). A l'heure où l'on se lamente un peu en Europe sur les «entraves» à la libre circulation des marchandises que l'Algérie essaie de mettre en place, ces données ramènent le débat à sa juste dimension. L'étude de la Cimade, agrémentée de nombreux témoignages, est accablante : liste des documents à fournir floue et changeante, non remboursement des frais de visas en cas de rejet, décisions non motivées, coût élevé de la procédure Le demandeur de visa maghrébin et africain est bel et bien plongé dans un univers kafkaïen. Comme il s'agit de faire du «chiffre», l'on constate déjà que par écœurement et conviction que cela ne sert à rien, le nombre de demandeurs de visas a tendance à baisser. Des «droits fondamentaux sont bafoués», estime la Cimade qui constate qu'outre «les possibilités de visites privées et courtes, c'est le rapprochement familial qui est fortement visé : les membres de famille qui veulent rejoindre leurs proches pour s'établir et vivre avec eux sont parmi les principales victimes de ces pratiques». En réalité, les consulats n'étant pas tenus de motiver leurs décisions, le visa devient un instrument de gestion de flux. Pour la Cimade, le flou est délibéré et il sert à mener une «politique de découragement» des demandes. Chaque consulat peut ainsi agir à sa guise et décider de sa propre politique. Et sans doute, du «quota» de visa à rejeter. L'arbitraire encourage l'immigration illégale La Cimade souligne que l'image de la France dans les pays africains n'en sort pas grandie. Elle insiste surtout sur l'effet pervers de cette politique de visa. L'absence de critères clairs, de recours et de motivations des décisions encourage l'immigration illégale. «Quand la voie normale d'accès au territoire français est rendue inaccessible, quand il devient impossible de s'entretenir avec une administration pour comprendre les conditions et les raisons d'une décision, il est inévitable qu'une partie des «recalés» vienne à être tentée de recourir à des voies détournées». La Cimade constate que ces pratiques de rejet de visa sans motif devraient disparaître puisque le code communautaire des visas va imposer, à partir du 5 avril 2011, aux Etats membres, de «motiver tous les refus de visa de court séjour et d'indiquer les voies et délais de recours». Mais là également, la Cimade craint que les «consulats ne fassent preuve d'imagination pour faire entrer dans les cases des refus fondés sur des motifs autres que ceux qui sont limitativement fixés par le texte». L'organisation cite ainsi des formules du genre «votre volonté de quitter le territoire des Etats membres avant l'expiration du visa n'a pu être établie» ou «un ou plusieurs Etats membres estiment que vous représentez une menace pour l'ordre public, la sécurité nationale ou la santé publique». En clair, cette obligation de motiver les décisions, que le ministre français de l'Immigration s'est empressé de faire valoir, est contournable et laisse aux Etats une «grande liberté d'appréciation».