Comme chacun le sait, en cette période où la canicule atteint des summums, sauf pour ce qui concerne la plage, ce n'est pas aux alentours de 14h que les Oranais se plaisent à sortir dans les rues, histoire de se rafraîchir. En vérité, c'est seulement à partir de la tombée de la nuit que les rues d'Oran, au lieu de se dépeupler, se mettent petit à petit à grouiller de gens. Pour commencer, si on prenait, à titre d'exemple, le boulevard du Front de mer, on se rend compte que depuis la nuit des temps, les deux crémeries de la place Port Saïd ne désemplissent, réunissant chaque soir un grand nombre de gens, créant ainsi une ambiance estivale typique. Un peu plus loin, sur le même boulevard, c'est «Nassim Planète» qui réussit le tour de force à amasser un grand nombre de clientèle. Ce dernier, en plus des glaces, tente de varier son menu en proposant également de la restauration rapide. Il est alors courant de voir au Front de mer, aux alentours de minuit, des gens se promener, tenant à la main des sandwichs chiche-kebab. Dans n'importe quel quartier d'Oran, qu'il s'agisse de St-Pierre, Gambetta, Choupot, ou même à l'USTO, partout des crémeries sont en train d'ouvrir, et à profusion. Certaines crémeries sont «improvisées», ce sont plutôt des magasins d'alimentation générale qui créent la cohue pour la simple raison qu'ils mettent à la disposition de leur clientèle un réfrigérateur avec toutes sortes de glaces. A la tombée de la nuit, il existe d'autres lieux susceptibles d'attirer du monde. Et c'est ce qui constitue, par ailleurs, un phénomène à part entière : celui des cafés qui ouvrent leur porte jusque tard dans la nuit, et cela même en dehors du mois de Ramadhan, comme c'est de coutume. Dès l'arrivée de l'été en effet, des cafés en tout genre, que ce soit des cafés populaires ou des salons de thé, s'attardent pour afficher «closed», et cela au grand bonheur de la clientèle nocturne. «Dans la norme, nous dit un des habitués, il doit exister deux sortes de cafés, celui qui ferme ses portes à 19h et un autre qui doit ouvrir justement à cette heure et de ne baisser rideau qu'aux alentours de minuit ou plus tard encore. Ça se passe comme ça dans la plupart des pays de la Méditerranée. Hélas, ici, pour l'heure, c'est encore un peu confus !» En ce qui concerne les cafés populaires, les plus réputés se trouvent principalement à l'est de la ville. A l'avenue d'Arcole notamment, ou encore à Point du Jour, plusieurs cafés restent ouverts très tard la nuit. Au centre-ville, un nouvel établissement vient d'ouvrir à la rue de la Vieille Mosquée ; il ferme ses portes aux alentours de 22h, mais ambitionne de réaliser la prouesse de rester ouvert H24. Ça sera alors une première pour la ville d'Oran. «Mais pour cela, nous dit le propriétaire, il faut au préalable avoir des autorisations». Quand Dar Chakouri bouscule le Front de mer Chacun aura tendance à croire qu'il n'y a que les endroits réputés comme le Front de mer ou la corniche pour que les familles puissent s'attabler pour prendre des crèmes et un peu de fraîcheur nocturne. A El-Hamri, la crémerie dite de Dar Chakouri, située dans la petite esplanade, se trouvant sur le boulevard Cheikh Abdelkader juste en face du complexe sportif de l'ex-PTT (piscine Gallia) est, à chaque fin de journée, bondée de monde, et ce jusqu'à tard dans la nuit. Des crèmes glacées et des boissons en tout genre avec des prix modérés sont proposées à la nombreuse clientèle qui vient chercher la fraîcheur et la convivialité. Des serveurs vivaces et bien présents font tout pour satisfaire la clientèle qui ne demande pas tant. Une douce brise soufflant sur ce couloir durant la nuit encourage plus d'une famille ou des groupes d'amis à prolonger la soirée. De l'avis de tous, cet endroit a quelque chose de spécial, non seulement par la qualité de l'offre mais par bien plus. Mohamed est un émigré natif du quartier d'El-Hamri, il vient chaque soir, comme il le dira, avec ses amis se «ressourcer» dans l'endroit qui lui rappelle son enfance, de même que son ami Ali, un autre natif du quartier, qui vient de loin pour seulement humer l'air de sa tendre jeunesse. Et même à l'intérieur du quartier sur l'avenue de Lamur du côté du marché, des crémerie sont ouvertes presque toute la nuit et les familles qui viennent s'y attabler démentent toute idée préconçue sur ce quartier qui ne cesse d'étonner de par son animation, de jour comme de nuit, comme à la place Soualamia (ex-place Sahra) chez Benachour, le doyen des cafetiers du quartier dont les fils eux-mêmes gèrent la crémerie citée en premier. Pour revenir à Dar Chakouri, c'est la maison d'un soldat, un capitaine de l'Armée française, peut-être de la Première Guerre mondiale. Les anciens combattants, une fois démobilisés et invalides, venaient chercher leurs soldes, parfois aussi les veuves de soldats morts pendant les combats. Une maisonnette d'un style andalous rappelant l'architecture de la gare ferroviaire d'Oran, mais qui fut démolie il y a bien longtemps pour agrandir l'esplanade anciennement appelée Jnane Djattou. Pendant le jour, cet endroit ne désemplit guère avec d'interminables parties de jeu de dames. Des spectateurs tout aussi intéressés contemplent de grandes batailles tactiques se dérouler sous leurs yeux par des jeunes et des moins jeunes qui ont choisi ce jeu par passion et pour passer le temps. A Maraval, à Choupot en passant par Gambetta et bien d'autres quartiers populaires, la tendance est à la vie au quartier qui ne semble plus se résumer seulement à un lieu d'habitation. On l'aura compris, en ces temps où la chaleur est suffocante, les Oranais ont trouvé la parade : sortir de nuit, à la recherche d'un café ou d'une crémerie, histoire de passer le temps entre amis. Le tout est maintenant d'espérer que cette sorte de créneau, celui qui alimente la nuit oranaise, se propage ici et là aux quatre coins de la ville, et au plus tôt.