Suite et fin Par définition, toute crise financière a de graves répercussions sur l'ensemble de l'économie réelle, laquelle dépend étroitement des marchés financiers pour assurer sa croissance et créer des emplois, mais la crise actuelle est plus profonde que les crises récentes. Elle a ses origines dans les pays développés qui tiraient la demande mondiale et la croissance des échanges. En outre, compte tenu de l'internationalisation de l'économie, elle touche maintenant la plupart des pays. De plus, alors que pendant la période d'expansion qui a précédé la crise, les fruits de la croissance étaient inégalement répartis, les coûts économiques et sociaux de la crise actuelle sont largement partagés. Le sentiment d'injustice monte, ce qui accroît les risques d'instabilité sociale. Il est impératif d'éviter une crise majeure des marchés du travail et dans le domaine social. Déjà, les suppressions d'emplois se multiplient et les nouveaux arrivants, par exemple les jeunes, ont des difficultés à trouver un emploi. La situation pourrait changer si la récession devait se prolonger, auquel cas une augmentation massive du chômage serait inévitable et, dans les pays en voie de développement, on assisterait à un transfert durable vers le secteur informel et à une augmentation du nombre de travailleurs pauvres. Une récession prolongée aurait des effets allant bien au-delà de l'augmentation du chômage, du développement du secteur informel et de l'accroissement du nombre de travailleurs pauvres. Vu le nombre de ceux qui, ne bénéficient pas d'une protection sociale, les troubles sociaux liés aux incertitudes en matière d'emploi devraient s'intensifier. Certains pays en développement vont également devoir accueillir de nombreux travailleurs migrants rentrant chez eux. Et au sein des pays, le retour des travailleurs des zones urbaines, où les emplois disparaissent, vers les zones rurales pose également de graves problèmes. La protection sociale elle-même est touchée par la crise, à un moment où elle est plus nécessaire que jamais. La situation sera particulièrement difficile dans les pays en voie de développement où la protection sociale est souvent limitée. Or, même dans les pays émergents et dans un certain nombre de pays développés, la plupart des personnes à la recherche d'un premier emploi ne perçoivent pas d'allocations de chômage. En conséquence, des millions de travailleurs vont se retrouver sans l'aide dont ils auraient besoin. En résumé, une crise sociale se dessine très nettement et ne pourra être évitée que si des mesures adaptées sont prises rapidement. Evaluation préliminaire des effets sur l'emploi et des conséquences sociales des mesures de sauvetage financier et de relance budgétaire Dans un même temps, afin de stimuler l'économie, de nombreux pays ont annoncé des plans de relance budgétaire réductions d'impôts et augmentations des dépenses dont l'ampleur est variable. Plusieurs pays ont également pris des dispositions pour atténuer les répercussions de la crise sur le marché du travail et sur le plan social. Toutefois, les montants alloués aux mesures de sauvetage financier sont le plus souvent très largement supérieurs à ceux affectés aux dispositifs budgétaires mis en place pour relancer la demande, la production et l'emploi. L'absence de coordination internationale réduit bien entendu l'effet global des mesures de relance. De plus, elle dissuade chaque pays de réagir plus vite que ses partenaires commerciaux, en raison des chaînes d'interdépendance qui les relient au niveau international. En conséquence, il se peut que la mise en œuvre concrète des plans de relance budgétaire soit encore différée, ce qui alimenterait toujours plus le cercle vicieux de la dépression. La problématique du développement n'a pas fait l'objet d'une attention suffisante. Les conséquences sociales de la crise dans les pays en voie de développement sont amplifiées par le fait que la majorité des travailleurs et des petites entreprises n'ont accès à aucune forme de protection sociale. D'après les prévisions, entre 40 et 50 pour cent des habitants de la planète, hommes et femmes confondus ainsi que leur famille, n'auront pas les ressources financières requises pour dépasser le seuil de pauvreté (2 dollars par jour) en 2009. En outre, de nombreux pays en développement n'ont pas les moyens d'engager des investissements publics massifs. Beaucoup ont déjà un budget et une balance des opérations courantes largement déficitaires à cause de la flambée des prix des denrées alimentaires et du pétrole qui s'est produite au deuxième semestre de 2008. Si l'écart se creuse davantage entre les pays en raison de leur capacité inégale de faire face à la crise, les déséquilibres et les disparités s'accentueront à l'échelle mondiale. Les programmes au moyen desquels le Fonds monétaire international (FMI) vient habituellement en aide aux pays qui connaissent des difficultés de balance des paiements ne sont pas du tout adaptés à la situation actuelle. Ces programmes reposaient sur l'idée que les pays étaient confrontés à des crises locales dont ils étaient eux-mêmes les principaux responsables. Or la crise actuelle est une crise mondiale qui a pris son origine dans le monde développé. La multiplication de programmes de sauvetage classiques aggraverait encore la baisse de la demande dans le monde et prolongerait indéfiniment la crise. C'est pourquoi un nouveau mécanisme, qui coexisterait avec les programmes du FMI sans s'y substituer, est nécessaire. Les mesures de relance n'ont pas été mises en place dans l'optique d'une croissance mondiale plus équitable et plus durable à court et moyen termes. Les déséquilibres mondiaux, le déficit de travail décent et les inégalités ont été pour beaucoup dans la crise actuelle. De même, à cause d'une piètre réglementation des marchés financiers, l'économie réelle a été poussée vers le profit immédiat, parfois au détriment du revenu des travailleurs et des intérêts à long terme des entreprises. Pour favoriser la reprise, réduire le risque d'une autre crise systémique majeure et faire naître un sentiment d'équité, il faut absolument s'attaquer aux causes profondes de la crise. Le retour au statu quo ne saurait être une solution. Il est capital de poursuivre la mise en œuvre de l'Agenda du travail décent pour soutenir une reprise économique au niveau mondial, prévenir les soubresauts du marché du travail et les crises sociales et assurer la cohésion sociale. Cette option viserait pour l'essentiel à: soutenir la reprise économique par des politiques axées sur le travail décent, en particulier le renforcement de la protection sociale; éviter le risque de voir la crise continuer de se propager d'un pays à l'autre, en aidant tout particulièrement les pays vulnérables; Il serait possible d'accroître les effets des plans de relance budgétaire sur l'emploi et les revenus en: - Faisant en sorte que les projets d'infrastructure, de construction et de logements utilisent les capacités des entreprises existantes. A cette fin, il convient d'aider les petites et moyennes entreprises (PME) à tirer parti de nouvelles opportunités, de veiller à ce que les travailleurs aient les qualifications requises pour répondre aux nouvelles exigences, et de favoriser les volets rural et agricole des projets, extrêmement importants pour les pays en développement car ils contribueront non seulement à dynamiser l'économie nationale et le marché de l'emploi mais aussi à faire reculer la menace de la crise alimentaire. - En soutenant les emplois existants dans les entreprises viables, à des programmes de formation et à l'allégement des charges sociales pour les bas salaires; en renforçant la protection sociale par des programmes bien conçus aptes à soutenir la demande globale sans décourager le travail. On pourrait notamment prévoir des transferts conditionnels destinés à favoriser l'accès à l'éducation et à la santé, et des transferts non conditionnels dans les pays frappés par la pauvreté et sous-administrés. Des mesures structurelles seront néanmoins nécessaires pour assurer une protection sociale à grande échelle. En résumé, cette crise qui a commencé dans le secteur financier et qui s'est propagée à l'économie réelle est désormais une crise sociale et de l'emploi à l'échelle de la planète. Les ripostes doivent agir sur ces fronts et garantir l'instauration d'un nouveau système plus stable à l'avenir. Face à cette crise, tout l'enjeu aujourd'hui est d'adopter des mesures qui atténuent les répercussions sociales de la récession et ses conséquences sur l'emploi et qui donnent corps à des politiques de relance ouvrant la voie au développement durable, à la justice sociale et à une mondialisation équitable.