Le projet de modernisation de l'état civil promptement lancé par le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, semble un vrai fiasco. Les citoyens, qui s'attendaient au début de l'année à un assouplissement des procédures administratives, découvrent amèrement la dure réalité. Le citoyen lambda doit se lancer dans une série de travaux d'hercule pour constituer le dossier du passeport biométrique. Avoir son extrait de naissance S 12, une pièce maîtresse pour l'obtention du passeport et de la carte d'identité biométrique, peut rapidement tourner au calvaire à Oran. Au service de l'état civil de cette APC, la plus grande commune au niveau national en matière d'intensité démographique (1,5 million de naissances inscrites), déposer une demande pour obtenir le «fameux» document est un vrai périple. La tension sur ce service, qui dispose de deux guichets uniques pour l'établissement de l'extrait de naissance S 12, a poussé les responsables à limiter les demandes à 140 par jour. Il faut ainsi se lever tôt, se bousculer pendant des heures dans une foule déchaînée devant le portier du service de l'état civil et montrer patte blanche pour espérer arriver au guichet. Dès les premières heures de la journée, avant même l'ouverture de ce service, une foule compacte constituée d'hommes, de femmes et de vieillards s'agglutine devant la porte principale de l'état civil. Certains lève-tôt sont venus depuis l'aurore pour être sûr d'être les premiers à entrer dans le service. Il est 9h00 du matin, les agents de sécurité ouvrent la porte principale de l'état civil où des centaines de citoyens s'engouffrent en même temps. Les habitués se dirigent directement vers un coin du service pour retirer un ticket numéro avant de prendre place devant le guichet. L'attente devant les guichets pour déposer une demande d'établissement du document peut durer des heures. Ceux qui sont arrivés vers 9h30 peuvent rester toute la journée, les retardataires devront revenir un autre jour. Les demandeurs doivent aller au bout de leur souffrance pour obtenir comme récompense le «fameux» bon vert ! La souffrance des demandeurs n'est pas finie pour autant. Ils doivent patienter au moins deux mois pour espérer obtenir avec un peu de chance un extrait de naissance S 12 sans faute d'orthographe. Les «delalate» de l'état civil Il existe pourtant une alternative pour les gens pressés qui veulent échapper à toutes ces tracasseries bureaucratiques : les «delalate» ou les courtiers. Ces personnes très influentes s'appuient sur des relais qui ont leurs entrées dans les rouages de l'administration. Ces «intermédiaires», qui ont fait leur preuve, peuvent vous établir n'importe quel document en deux temps trois mouvements contre une rétribution. Ils peuvent vous fournir l'extrait de naissance S 12, l'extrait de naissance 12, ils peuvent vous procurer des témoins pour une cérémonie de signature d'acte de mariage, ils peuvent également vous obtenir un rendez-vous pour cette cérémonie. La tension sur le service de l'état civil de la mairie d'Oran a encouragé ces personnes à s'autoproclamer «intermédiaires» pour profiter de la détresse des citoyens. Ces «entremetteurs» squattent les abords du service d'état civil de la grande mairie pour proposer leurs services. L'extrait de naissance S 12 est négocié à partir de 3.000 dinars. Le prix peut augmenter jusqu'à 10.000 dinars pour les émigrés qui sont généralement pressés de retourner en Europe. Ces «proies» faciles sont contraintes de payer pour éviter de rater l'avion. Ces pratiques répressibles sont malheureusement favorisées par la précarité de la situation de nombreux employés de l'état civil recrutés en tant que vacataires. Certains «intermédiaires», qui ont des complices à l'intérieur du service de l'état civil, ont squatté la corporation d'écrivain public pour racoler leurs victimes. «Ils n'arrivent même pas à rédiger sans faute d'orthographe une simple demande administrative, mais quant il s'agit de régler des problèmes ces delalate sont très habiles», confie ce citoyen. Un jeune «courtier», appréhendé le mois dernier aux abords de l'état civil par des policiers en civil, a été d'ailleurs condamné jeudi dernier à un an de prison dont deux mois ferme. Le jeune homme avait abordé une femme pour demander une somme de 3.000 dinars pour le retrait de son extrait de naissance 12 S. La victime a feint d'accepter la proposition et alerté immédiatement la police. Le jeune «intermédiaire» a donné rendez-vous à la victime près du siège de l'état civil où il a été arrêté par les policiers en possession du dossier de la victime. Le mis en cause a été présenté le 16 août dernier devant le procureur de la République près le tribunal qui l'a placé sous mandat de dépôt. Le directeur de l'état civil affiche son impuissance Les responsables du service de l'état civil de la mairie d'Oran avouent être au courant de ces pratiques répressibles, mais la situation semble incontrôlable et dépasse toutes les prérogatives des agents de la commune. Le directeur du service de l'état civil de la commune d'Oran affiche ouvertement son impuissance. «La ville d'Oran est la plus grande commune du pays en matière d'intensité démographique avec plus de 1,5 million de naissances inscrites. Les locaux exigus de l'actuel siège de l'état civil ne peuvent plus faire face à la forte tension des citoyens. Nous avons essayé d'aménager une extension pour le nouveau service de l'extrait de naissance S 12, mais à cause de l'exiguïté des lieux nous nous sommes contentés d'une petite salle. Nos agents travaillent dans des conditions difficiles (poussière, exiguïté ) à l'intérieur même de la salle des registres originaux de l'état civil», regrette notre interlocuteur. Interrogé sur les retards dans la délivrance de l'extrait de naissance S 12, le directeur du service de l'état civil explique : «Les registres originaux de l'état civil sont manipulés en même temps par une dizaine de services. Nous avons besoin de ces registres originaux pour l'établissement des extraits de naissance S 12, les extraits de naissance originaux 12, les mises à jour des naissances, les actes de naissance hors wilaya, les jugements, les rectificatifs, les mentions de mariages, de divorce et de décès ». Il estime, à ce propos, que pour régler définitivement le problème il est devenu vital de lancer au plus tôt l'informatisation totale du service de l'état civil. «Il faut scanner tous les registres originaux de l'état civil de la commune d'Oran. Avec cette solution informatique nous pourrons délivrer quotidiennement 500 actes de naissance S 12», soutient notre interlocuteur. Autre problème soulevé par les responsables de ce service est que le siège de l'état civil est envahi à longueur de journée par des dizaines de personnes étrangères. A l'intérieur du service que nous avons visité lundi presque tous les corps constitués occupaient les lieux. Il y a des policiers en tenue et en civil, des gendarmes et parfois des pompiers et des militaires qui viennent pour se faire délivrer leurs documents. Il y a aussi les employés de la commune, de la daïra, de la wilaya accompagnés souvent par leurs proches qui s'agglutinent à l'intérieur de ce service. On se croirait dans un souk. Le brouhaha et les va-et-vient incessant des personnes étrangères empêchent les employés de ce service d'accomplir leur travail dans des conditions optimales. Il est à noter que depuis la mise en application du nouvel extrait de naissance original S 12 en avril dernier 17.820 actes ont été délivrés aux citoyens par le service de l'état civil de la commune d'Oran. Les agents de ce service ont travaillé même durant la nuit au cours de ce mois sacré pour rattraper un tant soit peu le retard dans l'établissement de ces documents. En dépit de ces efforts surhumains déployés par les responsables et les agents de ce service le délai «officiel» pour obtenir un extrait de naissance S 12 est de deux mois voire plus à Oran.