Avec un total de huit millions d'euros versés, l'Espagne est le pays qui a le plus dépensé pour libérer ses ressortissants retenus en otage par la branche maghrébine d'Al Qaïda (Aqmi). C'est ce que souligne, hier, le journal espagnol «El Mundo» s'apyant sur les chiffres rendus publics dernièrement par M. Kamel Rezag Bara, conseiller de la présidence algérienne pour les questions de terrorisme. Madrid n'a jamais reconnu le versement de rançons pour obtenir la libération des trois volontaires de l'ONG espagnole Accio Solidaria, enlevés en novembre 2009 en Mauritanie puis retenus par Al-Qaïda au Maghreb islamique dans le nord du Mali. Selon la même source, Madrid a dépensé un total de huit millions d'euros pour les libérations de ces trois Espagnols, en mars puis en août. Ce montant place l'Espagne devant l'Italie qui aurait versé 3,6 millions pour la libération de deux otages aux mains d'Aqmi en mai, et l'Autriche qui aurait versé 2,5 millions pour la libération de deux otages en avril 2009. Au contraire, la France, dont un ressortissant aux mains d'Aqmi, Michel Germaneau, est mort en juillet, n'a versé aucune rançon, de même que le Royaume-Uni, dont un ressortissant, Edwin Dyer, avait été décapité par Aqmi en juin 2009. Fin août, «El Mundo» avait affirmé que Madrid avait payé un total estimé à sept millions d'euros pour obtenir la libération de ses trois ressortissants tandis que, selon des médiateurs maliens, Aqmi a reçu «en tout 8 millions d'euros» de Madrid. La semaine dernière, lors de son intervention dans le cadre de la deuxième revue par l'ONU de la stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme tenue du 7 au 9 septembre à New York, M. Rezag Bara avait mis en garde contre la grave menace de prises d'otages par les groupes terroristes suivies de demandes de rançons et d'élargissement de terroristes en contrepartie de la libération d'otages. M. Bara a appelé à la mise en place de procédures de rappel à l'ordre contre les Etats qui ne respecteraient pas leurs engagements. Le conseiller de la présidence a indiqué que l'efficacité des mesures prises jusqu'à présent, pour lutter contre le financement du terrorisme international, «a contraint les groupes terroristes, et à leur tête Al Qaïda, à recourir à des voies alternatives parmi lesquelles figurent, notamment, la contrebande, le trafic de drogue et d'armes mais aussi et surtout les enlèvements contre paiement de rançons». Et d'ajouter que «ceci est particulièrement vrai pour la région du Sahel africain où cette pratique est devenue un mode de financement très lucratif pour les groupes terroristes activant sous la bannière d'Al-Qaïda». Constatant qu'outre une médiatisation importante des opérations de kidnappings, les terroristes exercent par ce procédé une pression sur les pays d'origine des otages, il a regretté cependant, qu'en cédant au chantage, ces Etats ne font qu'encourager les groupes terroristes à persévérer dans leurs activités criminelles. Par ailleurs, M. Rezag Bara a signalé que les enlèvements d'Occidentaux au Sahel africain ont rapporté aux terroristes plus de 50 millions d'euros auxquels s'ajoute un montant de 100 millions d'euros sous diverses formes. Décortiquant le mode opératoire des groupes terroristes dans les prises d'otages, le représentant algérien a indiqué que l'observation sécuritaire montrait qu'après la localisation de la cible, les terroristes procèdent à l'exécution de l'opération d'enlèvement, le plus souvent sous-traitée auprès de bandits et trafiquants locaux, moyennant une rétribution variant entre 10 et 50 millions de FCFA. Le recours à Internet ou à des stations de télévision satellitaires telle El Djazira est utilisé pour la revendication de l'acte. Selon le même intervenant, «le recoupement de déclarations de terroristes arrêtés permet d'affirmer qu'aujourd'hui, le tarif de base pour la libération d'un otage avoisine les 5 millions d'euros». S'exprimant sur le versement de rançons jumelé à l'élargissement de terroristes détenus en contrepartie de la libération d'otages, M. Rezag Bara a fait valoir qu'un tel procédé, outre qu'il pose un problème majeur de sécurité internationale, ouvre une brèche dangereuse dans l'entreprise mondiale de lutte antiterroriste. «Manifestement, ce nouveau procédé est, à tous points de vue, le signe d'une évolution qui vient à contre-courant des efforts menés par la Communauté internationale pour tarir les sources de financement du terrorisme et s'inscrit en violation de tous les dispositifs mis en place en la matière, y compris le dernier d'entre eux : la Résolution 1904 adoptée en décembre 2009, par le Conseil de Sécurité des Nations unies», a souligné M. Bara. Face à cette évolution dangereuse, «la Communauté internationale ne peut rester indifférente et laisser la voie à toutes les dérives découlant d'actions unilatérales, non coordonnées et non concertées, qui ne font en définitive qu'exacerber la situation. La Communauté internationale est ainsi à nouveau interpellée en vue d'une prise en charge effective de ce problème à travers un renforcement de l'ensemble des mesures prises par les Résolutions 1373, 1267 et 1904 du Conseil de Sécurité des Nations unies'', a-t-il souligné. Même si elle comporte des aspects positifs, la Résolution 1904 de décembre 2009 du Conseil de Sécurité des Nations unies n'appelle pas de manière expresse à incriminer le versement de rançons aux terroristes. Ce qui a encouragé les groupes terroristes à poursuivre les opérations de kidnappings en innovant par le recours à la sous-traitance auprès de réseaux de criminalité organisée (cas des Français Pierre Camette et Michel Maurice Germaneau, des 2 diplomates canadiens, des 3 Espagnols et des 2 Italiens). M. Rezag Bara a recommandé que dans le prolongement de la décision de l'Union africaine prise lors du sommet de Syrte en juin 2009, il convient d'appeler la communauté internationale à oeuvrer pour l'amélioration du dispositif juridique international de lutte contre le terrorisme à travers l'adoption d'une résolution spécifique du Conseil de sécurité des Nations unies renfermant une disposition juridique plus contraignante que celle figurant dans sa Résolution 1904, qui devrait incriminer aussi bien le paiement de rançons que l'élargissement des détenus pour activités terroristes en contrepartie de la libération d'otages.