Ce n'est pas encore le désenchantement mais on sent bien qu'un grand doute s'empare de la blogosphère. La conviction de départ était pourtant simple : Internet allait devenir le vecteur idéal pour ébranler les dictatures et soutenir les contestations populaires. Quoi de mieux, en effet, que ce réseau tentaculaire, et réputé incontrôlable, pour contourner la censure, organiser les regroupements, lancer des mots d'ordre, défendre un programme de réformes ou faire fuiter des informations susceptibles de modifier la donne politique ? Des milliers d'articles ont été écrits pour vanter l'impact de Twitter, qui permet d'informer en temps réel des millions d'internautes ou pour décrire l'influence du réseau social Facebook. Il est vrai que ces deux outils numériques connaissent un succès foudroyant. Pour s'opposer à tel ou tel régime, il suffit de les utiliser pour organiser une contestation virtuelle de grande ampleur. On l'a vu lors des manifestations en Iran quand le net a permis de relayer les slogans des manifestants et de se faire une idée de la situation dans les rues de Téhéran. Pour autant, l'enthousiasme retombe peu à peu. Cette idée selon laquelle internet remettra tôt ou tard en cause les modes traditionnels d'organisation politique, du moins en ce qui concerne les protestations et les mobilisations, apparaît quelque peu naïve et mérite d'être sérieusement relativisée. De fait, aucune dictature n'est tombée pour l'heure à cause ou grâce au web. Certes, pour chaque régime autoritaire, on trouve des centaines de sites d'opposition, souvent bien informés, capables de disséquer les dessous des systèmes qu'ils mettent en cause mais, comme disent les anglo-saxons, «so what ?» - et alors ? Où est l'intérêt si rien ne bouge ? De plus, on se rend compte aujourd'hui que les premiers visés sont désormais capables de faire mieux et de transformer internet en véritable outil de propagande. Prenons encore le cas de l'Iran. Aucun régime parmi les plus décriés de la planète ne s'est révélé autant capable de domestiquer la toile que celui des mollahs. Selon plusieurs experts spécialisés dans l'évolution du web, l'Iran déclinerait même une véritable stratégie de contre-guérilla numérique. Des sites et des blogs d'oppositions pullulent ? Qu'à cela ne tienne, Téhéran a modernisé sa «force d'intervention informatique» et clame à qui veut l'entendre qu'il possède l'une des meilleures cyber-armées du monde ! Cela se traduit par une modernisation des sites officiels, par la création de blogs en apparence anodins mais qui contribuent à véhiculer les positions officielles et à diffamer les opposants. Dans de nombreux cas, il semble qu'il s'agisse d'armes antisubversives plutôt soft de façon à ne pas effaroucher l'internaute lambda. Certains blogs prennent même l'apparence de sites en faveur de l'opposition ce qui leur permet de distiller les messages jugés fondamentaux par le régime comme par exemple le droit absolu de développer l'énergie nucléaire. Faire dire à ses opposants ce que l'on aimerait que l'opinion publique entende est une vieille recette et la voici donc appliquée à l'internet. D'autres pays pointés du doigt comme Cuba, le Venezuela ou même la Corée du nord appliquent eux aussi cette stratégie. A dire vrai, la «contre-cyberdissidence» existe déjà depuis quelques années et les régimes autoritaires comme nombre de formations politiques des pays démocratiques, n'ont fait qu'imiter de grandes entreprises. Soucieuses d'éviter qu'internet n'échappe à leur influence et qu'il devienne le paradis des associations de consommateurs, ces dernières ont très vite développé des stratégies pour assurer leur autopromotion tout en dénigrant leur concurrents. Certaines d'entre elles paient des légions de «cyber-guetteurs» capables d'infiltrer un forum pour y vanter certains produits et y discréditer d'autres. C'est le cas par exemple de l'hôtellerie où il est désormais de notoriété publique qu'il faut y regarder à deux fois avant de prendre pour argent comptant les appréciations, positives ou négatives, des vacanciers. Au risque de faire hurler les blogueurs qui ne jurent que par la toile, cette évolution est une bonne nouvelle pour ceux qui défendent le rôle traditionnel des médias. Tôt ou tard, internet sera encore plus malade qu'il ne l'est de sa crédibilité et l'exigence d'interfaces reconnues pour leur objectivité s'imposera d'elle-même. Trop de blogs, trop de sites aux informations contradictoires, trop de canulars et de manipulations vont forcer les internautes à rechercher des sites sérieux, au personnel clairement identifié et à la stratégie commerciale pleinement exposée. Cela ne veut pas dire que les journaux actuels en profiteront. Une recomposition sera certainement inévitable avec l'apparition de nouveaux acteurs qui seront les références de demain. Mais revenons à l'illusion subversive de l'internet. Tenir un blog, faire fuiter des informations, défier un pouvoir en place est certainement un acte nécessaire mais c'est loin d'être suffisant. Les limites de la toile sont évidentes. Elles ne remplaceront jamais les actions concrètes comme les grèves ou les manifestations, c'est-à-dire autant d'engagements où il faut payer de sa personne plutôt que de la mettre en avant comme le font tant de blogueurs égotiques. Plus important encore, Internet génère du bruit artificiel et l'illusion du nombre. Il est ainsi plus facile de fédérer mille «amis» sur facebook que de mobiliser dix personnes pour soutenir physiquement les mères de disparus à Alger ou les jeûneurs qui protestent à Paris contre les nouvelles lois sur l'immigration.