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La première victime de l'affaire WikiLeaks
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 01 - 12 - 2010

WikiLeaks, une opération anti-américaine? C'est à vérifier. Car sans crier au complot, il faut bien admettre que les pays arabes sont la première victime de l'affaire WikiLeaks.
Ce sont les Etats-Unis qui étaient visés, mais ce sont les pays arabes qui ont trinqué. Ainsi pourrait être résumé le résultat de la publication de documents diplomatiques américains par le site internet WikiLeaks. Car si l'Amérique s'en sort plutôt bien de cette épreuve, du moins pendant cette première semaine, il n'en est pas de même des pays arabes qui ne subissent pas seulement les effets collatéraux de l'opération, mais semblent bien en constituer la principale victime. Peut-être la principale cible.
Ce qui devait constituer une fuite sans précédent de documents américains se révèle donc, en fin de compte, comme une épreuve amère et, d'une certaine manière humiliante, à travers laquelle se confirme l'extrême fragilité des pays arabes et musulmans, ainsi que leur vulnérabilité à la moindre secousse qui affecte les relations internationales. Car, sans céder à la traditionnelle thèse du complot, et sans forcément approuver l'iranien Mahmoud Ahmadinedjad, qui accuse l'administration américaine d'avoir commandité cette opération, il faudra bien admettre que la première victime de l'affaire WikiLeaks, ce ne sont pas les Etats-Unis, mais les pays arabes.
En effet, les documents publiés par WikiLeaks sont essentiellement dominés par des notes concernant le Proche-Orient, et révélant des pays arabes plus préoccupés par la menace virtuelle iranienne que par la Palestine, avec des dirigeants hantés par l'Iran alors qu'Israël ne fait plus partie de leurs préoccupations, le tout sur fond d'une abdication totale face aux Etats-Unis.
Le Roi Abdallah lui-même est mis en cause dans ces documents. On lui prête une demande explicite adressée aux Etats-Unis pour qu'ils attaquent l'Iran afin de l'empêcher d'accéder à l'arme nucléaire. Les autres dirigeants des pays du Golfe et du Moyen-Orient, rois, émirs et chefs d'Etat, sont présentés sous la même image, celle de dirigeants implorant ou suppliant les Etats-Unis de veiller à contenir la menace iranienne, et d'utiliser tous les moyens pour y parvenir.
L'Iran n'est pas épargné non plus. Les notes rendues publiques convergent toutes pour insinuer ou confirmer l'image que la propagande occidentale veut à tout prix coller au régime de Téhéran. Le tout habilement enveloppé dans des déclarations attribuées à des diplomates, à des agents du renseignement ou à des opposants iraniens, au moment précis où, curieusement, des installations nucléaires iraniennes sont sabotées et où des spécialistes du nucléaire sont assassinés.
Ainsi, l'Iran aurait utilisé des ambulances du Croissant-Rouge pour acheminer des armes au Liban, durant la guerre qui avait opposé Israël et le Hezbollah de 2006. Les notes américaines apportent de nombreux détails: les convoyeurs d'armes, déguisés en personnel humanitaire, étaient en fait des Gardiens de la Révolution, cette milice qui jouerait un rôle essentiel dans le maintien de l'Iran en otage, alors que des avions sanitaires iraniens auraient été utilisés pour transporter des missiles. Avec de tels propos, on quitte les notes diplomatiques secrètes pour entrer en plein dans la propagande anti-iranienne, car c'est exactement le discours véhiculé, jusqu'à la caricature, par la propagande israélienne et américaine, à propos de l'Iran. Pour les Etats-Unis et Israël, le résultat est inespéré. Ils ont, à travers WikiLeaks, un moyen inespéré de donner du crédit à leur propagande.
De là à dire que les Etats-Unis ont réalisé une formidable opération marketing, à travers l'affaire WikiLeaks, il y a un pas qu'il est possible de franchir. Car malgré quelques désagréments passagers, sans signification particulière, WikiLeaks a rendu un immense service aux Etats-Unis.
Que révèle, en fait, WikiLeaks ? D'un point de vue arabe, ce qu'on peut apprendre à travers les documents rendus publics peut être classé en trois catégories. D'un côté, des révélations sans importance, comme celles concernant un président du conseil italien plus bouffon que roi, un président français irascible et népotique, et quelques images caricaturales de dirigeants occidentaux qui n'auront absolument aucun impact.
D'un autre côté, on découvre la réalité d'un monde arabe à genoux devant les Etats-Unis, avec des dirigeants arabes implorant Washington de les protéger, des dirigeants qu'on soupçonnait d'être fourbes, mais qu'on découvre encore plus fourbes dans le secret des chancelleries, préoccupés d'abord de leur pouvoir et de leur libido. Enfin une troisième catégorie de «révélations», peut-être la plus pernicieuse qui s'attelle à accréditer la propagande officielle américaine et à lui donner du crédit. Si les Etats-Unis ne font pas de la question palestinienne une priorité, et s'ils se préoccupent d'abord de l'Iran, c'est parce que cela répond à une demande pressante des pays arabes, nous disent les documents de WikiLeaks.
WikiLeaks, un coup anti-américain ? Les faits montrent que c'est d'abord une opération anti-arabe. Qui permet, en plus, aux Américains de révéler au monde entier et à l'opinion arabe en particulier, des choses que la diplomatie officielle ne permettrait pas. Ce qui, à défaut de prouver que les Etats-Unis pourraient manipuler WikiLeaks, confirme du moins qu'un pays fort, maîtrisant bien son sujet, peut transformer une opération délicate en une formidable opération de propagande.


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