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Monologue de l'Allemand
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 16 - 12 - 2010

La crise… Vous savez, tout peut arriver. Ne croyez surtout pas que la zone euro est indestructible et qu'elle ne peut pas imploser. Et puis, il ne faut pas sous-estimer la colère actuelle des Allemands. Cela fait des années que nous nous serrons la ceinture et voilà qu'on nous demande de donner de l'argent à des pays qui n'ont fait que le jeter par la fenêtre ! Je n'ai pas eu de vraie augmentation depuis 1996. J'ai accepté cette rigueur parce qu'il fallait, entre autres, payer le prix de la réunification avec l'Est et permettre le lancement de l'euro. Nous avons appris à modérer notre consommation et à toujours épargner malgré la baisse de notre pouvoir d'achat. C'est le lot de la majorité des foyers allemands.
Nous sommes fourmis depuis au moins quinze ans et on nous explique tranquillement qu'il faut que notre épargne et nos impôts se portent au secours des cigales. C'est scandaleux ! Je sais, je sais. C'est très facile de dire que mes propos sont la preuve que nous avons un sentiment de supériorité à l'égard de l'Europe du Sud. Je lis régulièrement la presse française et je sais comment elle présente les choses. Mais personne ne remarque que nous pensons exactement la même chose des Irlandais ou même des Islandais – même s'ils ne sont pas encore dans l'Union européenne – que des Grecs.
Oui, c'est sûr, il y a du mépris. Mais ça n'a rien à voir avec la culture ou la religion. C'est le mépris du travailleur pour le tricheur. C'est le mépris de celui qui a consenti un nombre incroyable de sacrifices vis-à-vis de l'inconséquent qui n'a jamais cessé de flamber et de gaspiller. Je vous le dis tranquillement : si les Grecs avaient subi une grosse catastrophe naturelle, personne chez nous n'aurait renâclé à leur venir en aide financièrement. Mais là, leurs gouvernements successifs ont triché ! Ils ont maquillé les statistiques pour entrer dans la zone euro et ils ont continué ensuite. Plus grave encore, personne chez eux ne semble vouloir payer d'impôts. Pourquoi irions-nous aider des gens qui ne savent même pas ce que signifie l'intérêt collectif ?
Encore une fois, cela vaut pour les Irlandais aussi. Spéculer sur l'immobilier, se croire riche parce qu'on a un appartement ou une maison dont le prix virtuel ne cesse d'augmenter, ce n'est pas travailler. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de spéculateurs en Allemagne. On en a vu apparaître des dizaines de milliers à l'époque de la bulle Internet et ils ont été bien punis pour la plupart. Mais ce qui choque chez nous, c'est le fait que la spéculation immobilière ait été encouragée par tout le monde, par les banques, bien sûr, mais aussi par le gouvernement irlandais. Et quand ce dernier a besoin d'argent, il tend la main à l'Europe, c'est-à-dire à l'Allemagne, mais refuse de changer sa fiscalité !
C'est incroyable ! Les Irlandais nous disent donnez-nous l'argent que vous avez épargné mais il n'est pas question qu'on change les lois qui font que des dizaines d'entreprises allemandes ont préféré s'installer en Irlande pour payer moins d'impôts. On ne cesse de nous parler de l'importance de l'Europe, de la nécessité d'être unis, or voilà l'occasion de faire une Europe plus cohérente. Puisque nous sommes membres d'une Union, pourquoi ne pas mettre fin à la concurrence fiscale qui nous divise ? Mais les Irlandais disent non, et personne n'insiste. Voilà pourquoi j'enrage et pourquoi j'ai du mal à garder mon calme quand on me parle de la construction européenne !
Cela fait plusieurs décennies que nous payons le poids des monstruosités du passé. Ça, personne n'a envie de revenir dessus ni de contester le bien-fondé de ce qui a été exigé de l'Allemagne. Je ne dis pas non plus qu'il faut que ça cesse. Cette responsabilité, il faut que nous continuions à l'assumer. Je suis né en 1960, donc je suis à l'aise pour en parler. Mais il faut savoir que mon opinion est loin d'être majoritaire. Les gens commencent à poser publiquement les questions taboues. Ils demandent simplement jusqu'à quand l'Allemagne va-t-elle continuer de payer ?
On a accepté d'échanger le deutschemark contre l'euro au nom de cette responsabilité. Ce n'est un secret pour personne que les Français nous ont forcé la main et que c'était le prix politique à payer pour obtenir la réunification avec l'Est. Mais cette zone euro stable et prospère qu'on nous a promise est une véritable pétaudière. Des Etats vont faire faillite car ils ne pourront pas rembourser leur dette ! Dans leur grande majorité, les Allemands refuseront de payer pour les autres. C'est pour cela que je dis que la zone euro va disparaître. Ce n'est pas possible autrement. Il va y avoir une recomposition, c'est certain.
Il y a aura peut-être deux unions monétaires en Europe. La première sera probablement constituée autour d'une monnaie forte par l'Allemagne, les Pays-Bas et les pays scandinaves. La seconde comprendra des pays comme l'Italie, l'Espagne, la Grèce et l'Irlande, c'est-à-dire les pays qui ont une grosse dette à rembourser mais qui ont aussi besoin d'une monnaie plus faible pour relancer leurs économies. La France ? Je pensais que mon propos était suffisamment explicite pour que vous n'ayez pas à poser cette question. Quand j'ai cité les pays du premier groupe, la France n'y figurait pas. Ce n'était pas un oubli.
Je crois que l'Europe se porterait mieux si on acceptait le fait que la France n'est plus une grande puissance économique. Ce n'est pas moi qui le dis. Le Premier ministre Fillon a été limpide en parlant d'un pays en faillite. Cela veut dire qu'il faut que la France descende en seconde division pendant quelque temps. Qu'elle reprenne des forces, qu'elle se réorganise. Il sera toujours temps pour elle de rejoindre le premier cercle. Mais je vois mal nos dirigeants tenir ce discours, même s'ils le pensent en leur for intérieur. Le poids du passé obligera encore l'Allemagne à faire en sorte que son tandem artificiel avec la France continue d'exister.


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