Deuil pour les victimes de la répression et mobilisation contre le « système RCD ». Les Tunisiens ont entamé, hier, un deuil de trois jours pour les 78 à plus de 100 morts - les chiffres varient entre le gouvernement et les ONG de droits de l'homme -, victimes des tentatives vaines du régime de stopper l'élan des Tunisiens vers la liberté. Les imams ont été incités à effectuer la «prière de l'absent» à l'issue de la première du vendredi à la «mémoire des martyrs de la révolution du peuple tunisien». Pour la première fois, alors que c'était une obligation, le nom de Ben Ali n'a pas été prononcé durant les prêches et la surveillance policière ostentatoire des mosquées a disparu. Les drapeaux étaient en berne et la télévision diffusait des versets du Coran. Le deuil pour les victimes de la répression policière et l'interdiction du regroupement de plus de trois personnes n'a pas empêché, une nouvelle fois, les Tunisiens de manifester pour réclamer le départ du «gouvernement de transition» sous domination du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) de Ben Ali. «Vous n'allez pas voler la révolution après avoir volé la richesse du pays», «Démission du gouvernement!», «Fidélité au sang des martyrs». Les manifestants tunisiens ne font pas confiance aux signes extérieurs d'une séparation entre l'Etat et le RCD. Ils continuent de mettre la pression contre la présence des serviteurs de Ben Ali dans le gouvernement. «RCD dégage !». Après Ben Ali, c'est à son parti que s'adressent les Tunisiens. La veille, des manifestants avaient pu pénétrer dans l'imposant immeuble et ont enlevé l'enseigne du RCD, associé dans l'esprit de très nombreux Tunisiens à la répression et à la corruption. Ces Tunisiens promettent de continuer à se battre «jusqu'à la dissolution du gouvernement». Suspecté de vouloir «voler» la révolution, le gouvernement tente de donner des gages. Amnistie générale et récupération des biens du RCD Réuni jeudi, il a décidé que le RCD va devoir rendre à l'Etat ses biens immobiliers et mobiliers dans le cadre du processus de séparation de l'Etat et du RCD. Le gouvernement a également adopté une loi d'amnistie générale sans exclure le mouvement islamiste Ennahdha. «Le mouvement Ennahdha sera concerné par l'amnistie générale», a précisé le ministre de l'Enseignement supérieur, Ahmed Ibrahim, devant des journalistes. Le parti islamiste va demander sa légalisation. Il avait été interdit et ses militants pourchassés après avoir enregistré un score de 17% aux élections de 1989 où ils s'étaient présentés sur une liste «indépendante». Le gouvernement a décidé de reconnaître tous les partis et mouvements interdits sous le régime de Ben Ali. Il sera difficile pour le RCD de se séparer de l'image d'un appareil politique au service de Ben Ali et de sa répression. Officiellement, le RCD a radié Ben Ali de ses rangs et six de ses hauts responsables dont deux de ses gendres. Outre le chef d'Etat par intérim et le Premier ministre, six ministres ont également renoncé à leur statut de membre du RCD. Le parti est « techniquement » out et annoncé la dissolution de son bureau politique. Cela n'enlève rien de la suspicion des Tunisiens qui n'en finissent pas de se souvenir des méfaits d'un parti arrogant, zélé exécuteur des basses besognes d'un régime clanique. Les autorités ont annoncé l'arrestation d'au moins 33 membres du clan Ben Ali - Trabelsi qui tentaient de fuir le pays et ont ouvert une enquête sur les biens de Ben Ali et de son épouse à l'étranger. La Banque Zitouna sous le contrôle de la Banque centrale La Banque Zitouna dont l'actionnaire principal n'est autre que Sakher El Materi, gendre de Ben Ali, a été placée sous le contrôle de la Banque centrale de Tunisie. Celle-ci a été également touchée par la vague puisque le gouverneur de la Banque centrale tunisienne (BCT), Taoufik Baccar, a été limogé et remplacé par Mustapha Kamel Nabli. La BCT multiplie les communiqués qui démentent les rumeurs selon lesquelles Leïla Trabelsi aurait dérobé 1,5 tonne d'or fin 2010. La BCT n'a «enregistré aucune variation de son stock d'or monétaire et commercial depuis le début de l'année 2011" ni «aucune variation (du stock d'or monétaire) durant les dernières années». Alors que les Tunisiens n'en finissent pas de découvrir le luxe dans lequel vivaient les membres du clan Ben Ali - Trabelsi, les livres interdits comme la « Régente de Carthage » sont dans les kiosques. La Tunisie a enregistré son deuxième candidat à la présidentielle en la personne du journaliste et opposant Taoufik Ben Brik. Avant lui, Moncef Marzouki, vieil opposant de Ben Ali, avait annoncé sa candidature. La Tunisie continue de vivre sous la pression d'une rue décidée à empêcher le détournement de sa révolution. Le gouvernement de transition fait de la « résistance ». Jusqu'à quand ?