Après de gigantesques manifestations organisées mardi pour réclamer son départ, Moubarak, soutenu implicitement par les Occidentaux, a répondu: «j'y suis, j'y reste». Mercredi, le régime a mobilisé ses nervis pour attaquer la Place Al-Tahrir, où les manifestants persistent et signent. La situation évoluait en début de soirée dangereusement avec des attaques à coup de Molotov contre le musée. L'Egypte était, hier, dans une tension extrême. Le régime organise une riposte contre les Egyptiens. L'attitude de l'armée suscite des questions. Des nervis du régime, les fameux «baltaguis», parmi eux des hommes sur des dromadaires et des chevaux, ont déferlé, hier après-midi, sur la place Al-Tahrir, où des milliers d'Egyptiens continuaient à réclamer le départ de Hosni Moubarak et son régime. Des affrontements ont opposé les manifestants aux nervis du régime qui, visiblement, cherchent à créer les conditions pour vider la place Al-Tahrir qui est devenue le centre nerveux et le cœur de la grande intifadha du peuple contre le régime. Des coups de feu étaient entendus. Des manifestants ont réussi à s'emparer des papiers d'identité de quelques assaillants affirment que des policiers mènent les supporteurs du président Moubarak sur la place Tahrir. Des dizaines de blessés ont été enregistrés dans les affrontements. L'armée, contrairement à sa promesse de protéger le peuple, semblait dans une position de neutralité. Ce qui dans l'état actuel du rapport de forces signifie qu'elle reste encore fidèle au régime. Celui-ci tente, avec l'aval implicite des puissances occidentales, de casser le mouvement en suscitant un chaos et un climat de terreur qui justifieraient la répression. Des manifestants ont arrêté des personnes avec des documents attestant de leur appartenance aux services de sécurité. La contre-offensive des officines du régime est intervenue après un discours du président Moubarak qui a signifié qu'il entendait rester à son poste jusqu'aux élections présidentielles de septembre prochain. Le «raïs» semblait croire que sa promesse de ne pas se représenter pour un nouveau mandat était une réponse suffisante à des manifestations sans précédents réclamant son départ «immédiat». Il a également appelé le Parlement à «débattre d'un amendement aux articles 76 et 77 de la Constitution pour changer les conditions de la candidature à la présidentielle et limiter les mandats». L'article 76, controversé, a été amendé en 2007: il établit des conditions strictes pour se présenter à la présidentielle, notamment pour les indépendants, qui doivent réunir les parrainages de deux cent cinquante élus émanant de trois institutions différentes, toutes dominées par le parti au pouvoir. L'article 77 établit la durée du mandat à six ans, pour un nombre illimité de mandat. Une feuille de route inspirée par Washington La feuille de route annoncée par Moubarak est soutenue par l'administration américaine qui veut, selon la formule du président américain, Barack Obama, une transition politique pacifique et calme. Organisée, bien entendu, par Moubarak et son régime. Les Américains veulent entraver le mouvement du changement et le contrôler. Les révélations du New York Times confirment que la feuille de route de Moubarak, qui a révulsé les opposants, est d'inspiration américaine. Selon le journal, le président américain Barack Obama a demandé à Moubarak de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Le «plan» américain a été transmis par Frank Wisner, ancien ambassadeur des Etats-Unis au Caire, très lié à la CIA, et ami personnel de Moubarak. L'envoyé très spécial n'a pas demandé à Moubarak de quitter le pouvoir - comme le réclamait les manifestants, «mais il lui conseille d'engager un processus en vue d'une réforme qui culminera avec des élections libres et justes en septembre pour élire un nouveau dirigeant égyptien», écrit le Times. L'enjeu pour les Américains est bien de préserver le régime et de gagner du temps dans le but de susciter des divisions dans une opposition unie dans le mot d'ordre de départ immédiat de Moubarak. Sur la place Al-Tahrir, les réactions au discours de Moubarak ont été claires et sans appel: «dégage». A l'unisson les opposants, ont signifié qu'ils ne négocieraient pas avec le régime avant le départ de Moubarak. Ils ont prévu d'organiser une nouvelle manifestation surnommée le « vendredi du départ (du rahil)». Les Frères musulmans ont indiqué qu'ils refusaient que le président Hosni Moubarak reste à la tête de l'Etat jusqu'à la fin de son mandat en septembre. «Le peuple refuse toutes les mesures partielles proposées hier par la tête du régime (Moubarak), et n'accepte pas d'alternative au départ», affirme le communiqué. Même attitude d'El Baradeï et des responsables de Kefaya. La réplique, aventuriste du régime, est d'essayer de faire «dégager» la place Al-tahrir. Par tous les moyens. Quid de l'armée ? De manière surprenante, des partisans du régime ont pu parvenir à la place Al-Tahrir, dont les entrées étaient censées être contrôlées par l'armée. Les forces d'opposition commencent à douter de l'armée malgré ses engagements à protéger la population. La tentative de contre-révolution des baltaguis, dont beaucoup payés par les hommes d'affaires véreux du régime, met le pays dans une situation dangereuse. Mohamed ElBaradeï, l'ancien DG de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a fait part de sa préoccupation. «Il s'agit d'une nouveau symptôme, d'un nouveau signe montrant qu'un régime criminel a recours à des actes criminels», a-t-il dit à la radio de la BBC à propos des affrontements de ce mercredi midi. «J'ai peur que cela tourne au bain de sang», a-t-il ajouté en qualifiant de «bande de voyous» les manifestants pro-Moubarak. Il est clair que le régime, acculé, met le pays dans une situation de guerre civile et de peur généralisée pour faire baisser la pression des Egyptiens qui réclament le départ de Moubarak. Sur la place Al-Tahrir, des manifestants affichaient leur décision de rester sur place jusqu'à ce que Moubarak «dégage». L'encerclement de fait de la place empêche l'afflux des manifestants. Des voyous du régime attaquaient à coup de cocktails Molotov le musée. Il s'agit bien de créer le chaos et la terreur. La nuit est tombée sur l'Egypte dans un climat de grande incertitude. L'armée a-t-elle choisi de se mettre derrière le régime ? C'est la seule question qui se posait hier dans une Egypte qui faisait face à une tentative de contre-révolution menée par des baltaguis payés par les ploutocrates du régime.