Le gouvernement de Naji Otri est tombé. Après les violentes manifestations du week-end dernier, au cours desquelles plus d'une centaine de manifestants et membres des forces de sécurité ont été tués par balles, le gouvernement a sauté comme un fusible. Officiellement, pour calmer l'opposition et redonner le jeu au président Bachar Al Assad pour mener quelques réformes politiques. «Le président Assad a accepté aujourd'hui la démission du gouvernement de Mohammad Naji Otri et lui a demandé d'expédier les affaires courantes», annonce l'agence de presse syrienne Sana. Le nouveau gouvernement, dont la composition devrait être connue d'ici la fin de la semaine, aura pour tâche de mener à bien le programme de réformes que Bachar Al Assad doit annoncer incessamment. Parmi ces réformes, doivent figurer l'abrogation de l'état d'urgence, la libéralisation de la presse et l'instauration du pluralisme politique, réclamées par le mouvement de contestation lancé il y a deux semaines en Syrie. Entretemps, le pouvoir a mobilisé des centaines de milliers de personnes pour afficher la popularité du chef de l'Etat, qui doit annoncer incessamment à la nation une série de mesures figurant parmi les revendications des protestataires, notamment l'abrogation de l'état d'urgence. Des milliers de manifestants pro-pouvoir ont défilé, drapeaux au vent, hier sur la place des Sept Fontaines à Damas, face à l'imposant bâtiment de la Banque centrale où a été tendu un immense portrait du chef de l'Etat. «Dieu, la Syrie, Bachar et c'est tout», «Par notre âme, par notre sang, nous nous sacrifierons pour toi, Bachar», scandaient les manifestants. Il s'agit des plus importantes manifestations depuis l'arrivée au pouvoir de Bachar Al Assad en 2000, où il avait succédé à son père Hafedh qui dirigeait le pays depuis 1970. La télévision syrienne a montré des rassemblements identiques dans les principales villes, à l'exception de Lattaquié, principal port de la Syrie, où les autorités avaient demandé de ne pas se rassembler pour des raisons de sécurité. Durant le week-end dernier, des hommes armés avaient ouvert le feu sur la population à Lattaquié, faisant 13 tués parmi les militaires et les civils et 185 blessés. Le régime a accusé les intégristes. Par contre, au sud du pays, à Deraa, épicentre de la contestation, 300 personnes ont manifesté hier contre le pouvoir en scandant «Révolution, révolution», «Oui à la liberté, non au confessionnalisme» et «Dieu, la Syrie, la Liberté». La levée de l'état d'urgence n'aura qu'une portée symbolique si elle ne s'accompagne pas d'autres réformes importantes, estiment des analystes. «Dans la situation actuelle, il faudrait une réforme radicale de la répartition du pouvoir», selon Faysal Itani de l'institut britannique Exclusive Analysis. Pour Nadim Houry, chercheur à l'organisation Human Rights Watch, basée à New York, «même si cela représente bien sûr un pas en avant, beaucoup d'autres réformes sont nécessaires pour que les Syriens puissent jouir d'une liberté qu'ils méritent». Pour autant, la chute du pouvoir de Bachar n'est pas envisagée par les experts. Selon Stéphane Valter, maître de conférences en langue et civilisation arabes à l'Université du Havre, il est relevé que beaucoup de Syriens soutiennent le régime. Beaucoup d'alaouites et de chrétiens, et même les riches sunnites préfèrent ainsi le régime actuel à une prise du pouvoir par les Frères musulmans et les sunnites. De même, Bachar Al Assad est aussi apprécié à titre personnel. Aujourd'hui, le plus probable est que le régime fasse quelques concessions, comme sur la lutte contre la corruption et de nouvelles mesures économiques, les plus urgentes. Ensuite, soit la situation se tassera, soit la répression sera violente et fera de nombreux morts. Les forces de sécurité feront en effet tout pour garder le pouvoir et ne laisseront pas une révolte se développer, surtout si elle est islamiste. Mais il évacue un scénario à la tunisienne. Sur la chaîne française TF1, il a estimé que cela semble très improbable. Certes, la contestation a des fondements économiques, comme en Tunisie. Mais les différentes confessions présentes en Syrie rendent ensuite difficile l'établissement d'un front commun. De leur côté, l'armée et les forces de sécurité ne changeront pas de camp. Le cas le plus extrême pourrait être un coup d'Etat aux dépens de Bachar Al Assad. Quoi qu'il en soit, même si la protestation se calme, le pouvoir doit lancer des réformes économiques. Sinon, le pays restera une poudrière sociale.