Les Tunisiens sont libres. La révolution est passée par là. Au plan social, la Tunisie connaît une montée des revendications. L'économie, elle, a subi, selon les analystes du ministère de la Planification, une «convulsion brutale». L'entreprise tunisienne n'y échappe pas. Le président de l'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (UTICA), Mohamed Ben Sedrine, nous en parle. Il évoque également les attentes des Tunisiens en direction de l'Algérie en termes de partenariat. Vous avez lancé récemment un appel à ceux qui demandaient une augmentation des salaires et une amélioration de leurs conditions de vie de faire une pause jusqu'à la fin de l'année. Votre appel a-t-il été entendu ? Effectivement, j'ai saisi l'occasion d'une visite des responsables du Bureau international du travail (BIT) pour leur demander de rapprocher entre nos points de vue et ceux de l'Union générale des travailleurs tunisiens sur cette importante question. C'est un sujet qui concerne la situation économique et sociale. Je leur ai dit d'informer leurs collègues au sein de l'UGTT que nous attendons ce qui pourrait s'appeler une trêve bien que nous ne soyons pas en guerre. Notre guerre est contre le chômage. Cette trêve pourrait prendre fin au 31 décembre prochain. Durant cette trêve, il faudra mettre fin aux sit-in, aux grèves, aux revendications éparses et déraisonnables et aux comportements inconvenables. Il faut rétablir la sécurité au sein des entreprises et que l'on garantisse la stabilité pour les investisseurs étrangers et aussi garantir l'avenir des travailleurs. Le but est d'ouvrir de nouvelles perspectives pour l'emploi. C'est ce que nous avons demandé en contrepartie d'un engagement à participer aux négociations sociales et aux conventions sur la hausse des salaires et la révision de certaines primes. La situation est difficile, très difficile même. La croissance avoisine le zéro et le chômage s'accroît de semaine en semaine. La situation est inquiétante et cela n'est pas un secret. Mais, malheureusement, on n'a pas de réponse à cet appel. Aviez-vous besoin que le BIT soit un intermédiaire pour transmettre votre appel à l'UGTT ? La visite des responsables du BIT à notre organisation et leurs nombreuses interrogations sur la situation actuelle nous a incités à faire une proposition positive qui ne concerne pas uniquement l'organisation et les travailleurs. C'est une proposition en faveur de la République tunisienne tout entière. C'est une proposition constructive pour laquelle je n'attendais ni louanges, ni remerciements. Mon seul souci est de savoir comment sera la Tunisie d'après la révolution. Celle-ci apporte la liberté, la démocratie et le respect des droits de l'homme. Malheureusement, nous avons dépassé la liberté et la démocratie et nous avons dépassé les droits de l'homme. C'est une chose négative. Nous ne voulons pas que la révolution échoue, nous voulons la renforcer par le travail. Cela signifie-t-il que vous refusez de vous asseoir à la table des négociations avec l'UGTT ? Non, nous ne refusons pas, nous attendons leur visite. J'ai informé le ministre des Affaires sociales de notre désir de les rencontrer et c'est lui qui se chargera d'organiser la rencontre. J'ai demandé personnellement au secrétaire général de l'UGTT que l'on se rencontre en tant que bureaux exécutifs pour discuter de tout ce qui peut améliorer la situation sécuritaire, économique et sociale. Mais également la situation financière. Laissez-moi le dire franchement, la situation financière est importante. Nous sommes en train de consommer ce que nous avons épargné durant les années précédentes et cela ne peut durer longtemps. Il n'y a pas de richesses naturelles chez nous, notre seule richesse est ce que nous produisons de nos mains. Vous considérez donc que l'UGTT reste l'interlocuteur par excellence et le représentant des travailleurs. La presse a rapporté que vous ne considérez plus l'Ugtt comme telle en temps du pluralisme Nos collègues de l'UGTT pourraient dire la même chose de nous. On a également plusieurs organisations patronales et l'UGTT peut demander la présence de toutes les organisations à la table des négociations. Nous sommes pour le pluralisme. Si nous admettons le multipartisme, le pluralisme syndical est une évidence. Nous avons actuellement 53 partis et on va aller vers la soixantaine. Certaines parties restent attachées à la grève malgré votre appel. Oui, beaucoup de secteurs poursuivent les grèves. Ce que je regrette n'est pas la grève en soi, le droit de grève est légitime, mais les grèves sauvages, anarchiques. Ce que je regrette également, c'est l'occupation des locaux, cela n'est pas légal et n'est pas permis par le droit du travail. Comment accepter que l'on dépasse la loi alors que nous aspirons à l'Etat de droit ? Les pertes des entreprises tunisiennes ont dépassé les 400 millions de dinars tunisiens. Où en est-on en matière de dédommagement ? Nous avons eu une rencontre avec le ministre des finances car il est le premier responsable capable de demander un budget complémentaire pour dédommager les pertes. Tous les dommages inférieurs à 10.000 dinars seront réglés au niveau local, au niveau des walis. Chaque région suivant les dégâts commis et il y a des régions qui n'ont connu aucun dégât. Quant aux pertes supérieures à 10.000 dinars, on s'est entendu avec le ministre, que les dédommagements sont liés au retour au travail. Il a répondu que cela nécessite un budget, l'ouverture de lignes de crédits bancaires avec des facilités. Une autre mesure importante prise par le ministre a consisté à permettre aux entreprises de récupérer 50% des dettes fiscales sur la TVA sans passer par un contrôle approfondi. Dans le passé, le recouvrement des dettes fiscales auprès du gouvernement passait par un contrôle fiscal approfondi de l'entreprise. La mesure a été prise à titre exceptionnel. Vous refusez de parler de hausse des salaires dans le contexte actuel. Non, ce n'est pas ce que j'ai dit exactement. J'ai dit que nous, entrepreneurs, sommes prêts à nous asseoir à la table des négociations sociales mais j'ai demandé avec insistance que soit mis fin à tous ces dépassements. Ils ont fixé des revendications et imposé leur volonté avant la négociation Ils ont même exigé une prime du 14 janvier ou prime de la révolution Ce sont des choses que la raison ne peut accepter Vous n'êtes donc pas contre la demande d'augmentation des salaires ? Nous ne sommes pas contre l'augmentation des salaires car nous savons que le niveau de vie est plus cher et que l'inflation a atteint des niveaux importants. Nous pensons qu'une hausse des salaires favorise une plus grande consommation et donc une plus grande production. La production locale et non la consommation de produits importés. La compétitivité des pays du Sud du point de vue des entreprises étrangères réside dans les bas salaires. Une augmentation des salaires n'aurait-elle pas une incidence sur la compétitivité et l'attractivité de l'économie tunisienne ? La compétitivité dans le monde ne dépend pas seulement des salaires. La Tunisie dispose d'atouts concurrentiels diversifiés et en premier lieu la productivité. Nous devons donc améliorer la productivité. Dans le secteur du tourisme, par exemple, nous devons tenir compte de l'aspect saisonnier de l'activité qui est importante en été et baisse durant les autres mois de l'année. Je propose de réduire les heures de travail durant ces périodes creuses tout en préservant le seuil de 2496 heures de travail dans l'année. Et dans le cas où ce volume horaire est dépassé, des heures supplémentaires seront rémunérées. L'essentiel est de respecter le volume horaire et il me revient de décider librement de la manière de le répartir sur l'année suivant les besoins. Les secteurs qui peuvent recourir à cette solution sont nombreux, le tourisme, le textile, l'agriculture On doit œuvrer également à donner une plus grande formation aux travailleurs afin qu'ils puissent utiliser au mieux les machines et les équipements. Il s'agit d'aller vers une bonne gouvernance d'entreprise en faisant participer les travailleurs afin d'améliorer le service, l'encadrement au sein de l'entreprise et le développement humain. L'Utica est membres de l'Union maghrébine des chefs d'entreprises. Qu'attendez-vous des partenaires et de l'Algérie en particulier ? Votre question est pertinente et vient à temps car nous avons besoin du soutien de renforcer le partenariat entre les pays du Maghreb mais les aspects politiques ne l'ont pas encore permis. Il vient à temps car nous attendons, prochainement, la visite du ministre tunisien du Développement régional en Algérie afin de renforcer le partenariat entre les deux pays et pour soutenir le tourisme. Nous attendons un million de touristes algériens dans l'année. Nous espérons aussi un soutien et un encouragement au partenariat au niveau des régions frontalières. Nous escomptons de plus grands échanges. Avec la situation qui prévaut en Libye, il ne nous reste plus que la coopération avec l'Algérie. Ce serait un pas positif pour consacrer une réussite du Maghreb au niveau économique dès lors qu'il peine à se faire au plan politique. J'ai eu l'honneur de participer au premier forum des hommes d'affaires maghrébins qui s'est tenu à Alger et qui s'est tenu l'année dernière en Tunisie. Nous avons eu de nombreux contacts avec des hommes d'affaires maghrébins qui travaillent dans différentes régions du monde. Nous devons œuvrer à donner de l'efficacité à nos rencontres et qu'on y prenne des décisions qui seront exécutées. Qu'est-ce qui entrave un partenariat qui serait avantageux pour tous ? La première chose qui vient à l'esprit d'un investisseur qui veut aller dans un pays est le taux de participation aux projets. Aujourd'hui, la mesure qui impose que 51% du capital dans un projet soit détenu par un opérateur algérien constitue une grande entrave pour la venue d'investisseurs en Algérie.