La fuite des cerveaux algériens suscite une grande polémique alimentée par une guerre des chiffres sans précédent. Au-delà d'une réalité amère pour le pays, la question est de savoir s'il faut ou non «quantifier» cette fuite de la matière grise algérienne. La polémique enfle. Lors d'une conférence tenue le 17 avril dernier à Médéa, le chercheur Ahmed Guessoum, qui citait un rapport du CNES datant de 2005, a jeté un véritable pavé dans la mare. Ce chercheur a fait état de «71 500 diplômés qui sont partis s'établir à l'étranger et qui ne sont pas retournés au pays entre 1994 et 2006». Selon ce chercheur, cette fuite des cerveaux a causé à l'Algérie des pertes estimées à quelque 40 milliards de dollars. Invité, jeudi dernier, à réagir aux chiffres, Hafid Aourag, directeur général de la recherche scientifique, a remis en cause ces données. «Je suis étonné par ces chiffres», a-t-il déclaré sur la radio chaîne 3. «Durant la période 1994 à 2006, la formation de 3000 chercheurs a coûté, révèle-t-il, 36 millions de dollars», exprimant ainsi son étonnement face aux chiffres de 40 milliards de dollars et soulignant la différence, considérée par l'invité de la radio comme «un gouffre». M. Aourag estime que «le prix du savoir est quelque chose de noble pour le pays et on n'a pas à l'évaluer». Il a déclaré ne s'en tenir «qu'aux chiffres de la base des données de la direction de la recherche» qu'il dirige. Son argument : «Il faut avoir des sources fiables et des critère admis universellement pour avancer des chiffres et définir ce qui est appelé «fuite de cerveaux» qui comprend, selon lui, trois catégories. En premier, considère M. Aourag, figurent les étudiants envoyés dans le cadre d'une bourse de formation à l'étranger. Deuxièmement, il y a les chercheurs-universitaires installés dans les laboratoires ou des centres de recherche partis à l'étranger. Enfin, figurent les professionnels des secteurs socioprofessionnels qui ont quitté le pays». Le directeur de la recherche a soutenu que la base de données de son administration ne dispose que des chiffres des boursiers et autres chercheurs universitaires formés à l'étranger. Pour lui, la direction de la recherche scientifique est la seule à même de maîtriser les indicateurs sur tout ce qui a trait aux bourses, aux formations et à la recherche scientifique. S'agissant des autres secteurs socioprofessionnels, il a affirmé qu'il n'est pas concerné par ces données. Pour lui, ce qui est important est «qu'il ne faut plus parler aujourd'hui de fuite de cerveaux mais de mobilité de chercheurs». M. Aourag a affirmé que «beaucoup de chercheurs sont disponibles à servir leur pays et peuvent apporter un plus à l'Algérie, ce qui est en soi un atout très important». «Aujourd'hui, soutient-il, 200 chercheurs algériens établis à l'étranger, que nous avons sélectionnés, travaillent conjointement avec la direction de la recherche pour développer des projets structurants grâce à un transfert technologique». «D'autres compétences interviennent, révèle-t-il, dans l'enseignement dans nos universités, dans l'encadrement des chercheurs et des enseignants au niveau des laboratoires de recherche. M. Aourag a révélé que «1000 bourses d'études (dont 800 pour les étudiants et 200 pour les chercheurs) ont été octroyées dans les années 1970, la devise de l'époque étant d'envoyer le maximum pour un nombre de retours minimum». «Durant les années 1990, 600 bourses ont été accordées dont 400 pour les étudiants. A partir de 2006, la tendance est inversée avec l'octroi de 150 bourses pour les étudiants et 500 pour les enseignants chercheurs», révèle-t-il. «Au total, récapitule le directeur de la recherche, entre 1970 à 1990, pas plus de 50 000 étudiants et cadres ont été envoyés en formation à l'étranger. Soit un coût de 420 millions de dollars en 20 ans. On est loin des chiffres avancés», répond-il. Autre révélation de M. Aourag : Sur 50 000 étudiants et chercheurs partis dans le cadre des bourses, 25 000 sont revenus, soit une déperdition de 50%, ce qui a coûté 700 millions de dollars. Interpellé sur l'exclusion et la marginalisation de beaucoup de chercheurs qui continuent à fuir le pays, M. Aourag a admis que, «durant les années précédant 1999, la majorité des cadres qui sont revenus au pays n'ont pas trouvé les conditions favorables à leur travail de recherche, car il n'y avait pas une politique de recherche scientifique». «Il y a nécessité de mettre un réseau pour lier ces compétences qui font le bonheur des revues et laboratoires de recherche étrangers et qui sont capables de mener des projets structurants dans leur pays», dit-il. «Ces compétences, explique-t-il, qui peuvent apporter des valeurs ajoutées pour le pays, sont bien prises en charge à la faveur des deux derniers plans quinquennaux et de la promulgation, en 2008, de la nouvelle loi sur le développement de la recherche scientifique». «Aujourd'hui, ajoute-t-il, l'environnement de la recherche connaît un essor appréciable». Pour M. Aourag, «la demande de retour au pays est forte actuellement», révélant que «1500 chercheurs établis à l'étranger ont formulé des demandes d'équivalence de leurs diplômes» auprès de ses services où «elles sont traitées au cas par cas». Les candidats ne perdront pas de leurs droits une fois installés au pays.