La terrible décennie 90 avec ses violences a engendré une grande vague de départ vers l'étranger dans l'élite universitaire du pays. Le fait est établi même s'il est toujours malaisé d'en faire un bilan chiffré. Le chercheur Ahmed Guessoum, a donné une indication du coût faramineux de cette hémorragie pour le pays en estimant à 40 milliards de dollars les pertes occasionnées par ce mouvement d'exil pour la seule période 92-96. Même si la période couvre des moments de pics de violence, il faut souligner que la vague de départ des élites instruites existait auparavant et s'est poursuivie au cours des années suivantes. Ahmed Guessoum, enseignant à l'université de Bab Ezzouar, se base sur un rapport daté de 2005 du Conseil national économique et social (CNES). La période concernée a connu une grande dégradation de la situation sécuritaire qui a amplifié un mouvement existant comme dans la plupart des pays du tiers-monde. Des dizaines de milliers de médecins, d'universitaires et de chercheurs se sont établis principalement en France, aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume Uni. M.Guessoum note que le nombre global de diplômés qui ont quitté l'Algérie, entre 1994 et 2006, s'élève à 71.500 diplômés universitaires, d'après le décompte établi par le CNES. 1000 médecins se sont installés au cours de cette période en France dont 7000 dans la région parisienne, 18.000 universitaires dont 3000 chercheurs de haut rang se sont installés depuis le début des années 90 en Amérique du Nord. Désencadrement Des chiffres implacables qui illustrent clairement un mouvement de «désencadrement» de l'Algérie qui a annulé pratiquement l'ensemble de l'effort mené par l'Algérie indépendante en termes de formation. L'investissement dans la ressource humaine, capital durable, a été ainsi dilapidé en raison du contexte mais également du fait d'un système où la mobilité sociale emprunte les canaux du commerce et de la politique et non celui du savoir et de l'effort. La problématique reste entière. Et les cadres instruits, candidats au départ ou en attente d'opportunité, restent importants même si les enseignants universitaires viennent, dans un «contexte révolutionnaire», obtenir un rattrapage salarial qui leur a été refusé pendant des années. Pour certains experts, l'estimation de 40 milliards de dollars pour la période 92-96 est basse et ne prend pas en compte l'ensemble des aspects. Ce sont des cadres qui ont grandi en Algérie et sur lesquels le pays a investi qui vont profiter à d'autres économies. Ces départs ont été permanents même si la crise des années 90 leur a donné l'ampleur d'un véritable exode des cerveaux. Mais l'insécurité, qui a marqué la décennie 90, n'est pas le seul facteur d'explication. Il est difficile d'occulter le fait que ces universitaires, médecins et autres cadres vivaient, souvent, dans des conditions matérielles difficiles alors que des opportunités d'amélioration de conditions de vie et des perspectives d'épanouissement professionnel s'offraient à eux à l'étranger. La déconsidération du savoir corolaire logique de celui du travail et de l'effort créait déjà un grand malaise chez ces catégories instruites. La crise et le FMI La crise des années 90 et l'ajustement structurel ont eu effet de paupériser davantage ces couches qui, contrairement aux jeunes chômeurs sans qualification, disposaient, en raison de leur compétence, d'une opportunité de trouver de l'emploi en Occident. Au passage, c'est au cours de cette période sous orbite du FMI que la possibilité de partir en retraite anticipée avait été ouverte. Les experts du FMI voulant un «dégraissage» dans la fonction publique, on a mis en place cette «sortie» qui a été empruntée surtout par les meilleurs cadres. Une décennie plus tard on est revenu sur cette décision mais le désencadrement a été bien réalisé. La perte de la matière grise est beaucoup plus grave que celle des entreprises publiques liquidées dans les années 90 et qui étaient déjà techniquement obsolètes.