Question d'actualité: pourquoi les dictateurs arabes menacés par les révolutions refont-ils les mêmes erreurs à tour de rôle ? Pourquoi quand ils sont sommés de réformer, ils commencent par tuer, refuser, nier avant de négocier puis tomber ? On ne s'étonnera donc jamais assez de voir ces régimes développer à la fois des prouesses de diplomatie internationale pour survivre et garder leurs positions, tout en incarnant les pires politiques intérieures avec de grossières propagandes et des réflexes qui confinent à de l'imbécilité quand il s'agit de gérer les crises locales. En Syrie, le régime commet aujourd'hui les mêmes erreurs que celles commises par Kadhafi qui lui-même a fait pire et tout aussi inutilement que Moubarak ou Benali. Du coup, on en arrive à l'hypothèse de l'existence d'une psychologie de la dictature qui transcendante les cas spécifiques de chaque pays. Les dictatures arabes ont l'instinct de survie et l'intelligence de la manœuvre pour tout ce qui concerne l'Extérieur mais, à l'Intérieur, face à leurs peuples, ils sont comme piégés par une émotion de colère et de rage : comment les serfs osent-ils se révolter contre nous qui leur donnons à manger et à boire et qui leur avons même donné un pays avec de la terre en plus des semelles ? Comment ont-ils l'audace de réclamer la liberté alors que ce sont des peuplades juste dignes de respirer dans le désordre ? C'est quoi ce bruit au bout de la rue ? Il y a chez les dictatures locales, du Golfe à l'océan, une conviction profonde de la légitimité féodale du seigneur qui défend ses biens et ses serfs contre leur propre gré « car pardonnez-leur Dieu, ils ne savent pas ». Les violences dures de la répression participent ainsi plus de la rage et de l'aveuglement colérique que de la stratégie de défense. Les meurtres, le nombre des morts, le choix du sang et de la confrontation ne sont pas explicables par le « politique » mais la psychologie : les peuples révoltés sont tout simplement punis. C'est ce qui explique la rage de la matraque et le sniper sur le toit et ces autismes étonnants des régimes face au cri de leurs peuples. Cela se voit dans les yeux mauvais du policier qui frappe plus fort que ne lui demande son supérieur, dans la rage du soldat qui tire et dans le zèle des milices clandestines recrutées par le Pouvoir pour appuyer ses répressions et dans les insultes. Les révoltés sont punis, frappés pour cause de rébellion contre l'ordre du seigneur et de ses compagnons, traités comme des plèbes désordonnées et pas comme des peuples et presque convaincus de l'illégitimité de leurs actions dans le cadre du contrat de base des nations arabes : je suis le propriétaire de la terre, je l'ai libérée, votre pain c'est moi qui l'assure, autant que vos frontières et il est impensable que vous réclamiez le partage de ce que m'a laissé mon père, la Révolution de mon père ou celle que j'ai faite ou ce que le droit divin me donne directement du ciel à la bouche. Les dictatures sont donc d'abord une psychologie et des attitudes mentales dignes d'une psychanalyse. C'est ce qui explique l'irrationalité des réactions des dictateurs chez nous, leur étonnement face à la révolte et leur option pour le suicide plutôt que pour la transition. Ils vont jusqu'au bout du meurtre parce qu'ils sont convaincus d'être dans leurs droits et de défendre une propriété et de défendre le peuple tel qu'il a toujours été : une plèbe, des paysans de terres, des employés et des gens qui ne peuvent pas être tous présidents et qui ne sont pas conscients de leurs actes ni assez mûrs pour gérer leurs intérêts. « Si je tue le peuple, c'est pour le bien du peuple », se dit sans fin le dictateur. C'est ce que disait le doigt du fils de Kadhafi lors de son premier discours. Rappelez-vous de son air de fils du patron face à la grogne d'insolents salariés.