La délégation américaine qui a séjourné à Alger pour assister à la conférence sur la sécurité et le terrorisme a été la seule à mener le plus grand nombre de réunions marathons avec les responsables algériens jusqu'au plus haut niveau de l'Etat. « Nous avons été très pris par une série de réunions que nous avons eues avec les hauts responsables algériens», avait lâché en substance l'ambassadeur des Etats-Unis en poste à Alger au début de la conférence de presse qu'il avait animée jeudi dernier, conjointement avec le commandant en chef de l'Africom et la vice secrétaire adjointe au département d'Etat et vice coordonnatrice du coordonnateur du bureau de la lutte antiterroriste. La délégation américaine a été reçue par le président de la république, le chef d'Etat-major, le ministre délégué à la Défense nationale, les ministres des Affaires étrangères et celui délégué aux Affaires maghrébines et africaines. Ce dernier a reçu la vice secrétaire toute seule, le commandant en chef de l'Africom tout seul et une troisième fois les deux en même temps. L'information de l'ambassadeur a donc son poids quand on sait qu'Alger a été l'hôte de plus d'une centaine d'invités de marque mais qu'elle a été plutôt tenue de faire plusieurs apartés avec ceux américains. Il est clair - et cela a été affirmé par les autorités algériennes - que la conférence d'Alger avait comme toile de fond le conflit libyen et ses répercussions sur la sécurité dans la région, notamment dans les pays du Sahel. De par sa position que les uns jugent « ambiguë » et d'autres «compromise avec le régime Kadhafi », l'Algérie s'est retrouvée dès le déclenchement de l'insurrection libyenne en proie à un déluge d'accusations en général totalement infondées. Si les Alliés, membres de l'OTAN, à leur tête la France, ont exercé de fortes pressions sur le Conseil de sécurité onusien jusqu'à le faire plier pour adopter la résolution 1973 autorisant le déclenchement d'une guerre contre un Etat souverain, beaucoup de responsables et intellectuels arabes, notamment algériens, ne se sont pas gênés pour les soutenir. Pourtant l'histoire a toujours retenu qu'à chaque fois que l'Occident intervient dans une région pour lui venir en aide et ce quelle qu'en soit la raison, la contrepartie qu'il exige dépasse le prix, le poids et la nature de son intervention. Il peut même, à cet effet, sacrifier la raison pour laquelle il a accepté de fournir soi-disant son aide. C'est le cas en Afghanistan et en Irak où la guerre menée par l'OTAN pour le premier et par les Américains pour le second comptabilise les dégâts collatéraux à coups de chiffres macabres de vies humaines sans que les commandements s'en soucient. La Libye ne sort pas de ce registre et enregistre elle aussi des pertes de vies humaines au nom de la défense de son peuple que les Alliés ont décrétée conformément à leurs intérêts dans la région. «Tous les pays étrangers ont des intérêts à préserver dans la région, nous le savons mais nous voulons nous inscrire dans une logique de partenariat et non dans celle de l'ingérence », avait déclaré le ministre délégué des Affaires maghrébines et africaines jeudi à l'issue de la fin de la conférence qui s'est tenue au palais des Nations de Club des Pins d'Alger. L'Algérie «replacée» au centre des enjeux de la région. En organisant sa conférence et en réussissant à faire venir chez elle les plus chevronnés des pays en matière de commandement du monde, l'Algérie a réussi un véritable coup de poker. Ses responsables ont dû jouer le tout pour le tout pour rassembler toute cette expertise politique, diplomatique, sécuritaire et militaire mondiale en un seul lieu et un seul temps et débattre d'une problématique qu'elle se posait à elle seule en premier, à savoir la sécurité et le développement. Non seulement elle a réussi à la faire admettre comme « binôme indissociable » pour l'instauration de la paix dans la région du Sahel, mais elle a démontré que ce binôme risque d'être totalement bouleversé si les conséquences du conflit libyen ne sont pas maîtrisées. Toutes ses appréhensions à ce sujet ont été mises sur la table. La France a beau faire du pied à ses alliés pour qu'ils les diluent dans sa thèse qui dit que l'insécurité et la prolifération des armes n'ont rien à voir avec le conflit libyen mais selon les conclusions de la conférence d'Alger, elle n'a pas fait l'unanimité. Contrairement aux Français, les responsables algériens avaient tablé sur l'adoption d'une stratégie dont les fondements sont pratiquement liés à la situation en Libye. Ils ont pu convaincre leurs invités représentant les puissants de ce monde, en premier les Américains, de leur fondement et la possibilité de leur vérification sur le terrain. La conférence est sortie avec une conclusion clef, à savoir que le Conseil national de transition libyen est responsable des armes en circulation. Conclusion qui n'a pas été du goût de l'Elysée qui lui n'a jamais voulu exposer le problème de cette manière. La France ne fera jamais cas des armes qui sont larguées par les forces de l'OTAN en Libye et que les parties en conflit « ramassent » et utilisent en toute impunité. Parrainé par les Etats-Unis, la décision de responsabiliser le CNT sur les armes en circulation a quelque peu remis de l'ordre dans l'échiquier des priorités sécuritaires de la région et surtout de l'Algérie. Mieux encore, l'Algérie a été décrétée « leader » de la région dans la lutte antiterroriste. Avant l'ouverture de la conférence, Abdelkader Messahel avait déclaré à des journalistes que le rendez-vous d'Alger vise «à recentrer les enjeux dans la région». Alger a parfaitement réussi à recentrer le débat sur la sécurité et la lutte antiterroriste sur ses préoccupations en premier. Elle l'a fait sans s'appuyer sur la France dont le rapprochement avec le Maroc sur la question sahraouie a pris des dimensions dangereuses depuis le déclenchement de la guerre de Sarkozy contre Kadhafi. Règlements militaires frustrants et visées Néocoloniales Il est évident que les responsables algériens seront appelés à modérer la rigidité de leur position, notamment contre le Maroc. Shari Villarosa en a donné un avant-goût lors de son intervention dans la plénière de la conférence. Elle a demandé à ce que la lutte antiterroriste soit menée par les pays « qui ont de l'expérience » et citera nommément l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. Mais ceci sera inscrit dans le cadre des compromis que l'Algérie établira pour tracer sa position géostratégique dans la région et particulièrement le Maghreb. Les réunions marathons qu'Algériens et Américains ont eues ensemble durant les deux jours de la conférence (mercredi et jeudi derniers) ont remis de l'ordre dans la feuille de route que les Etats-Unis distribuent aux pays de la région. L'Algérie semble sortir du lot des pays qui ont été programmés par les laboratoires étrangers pour passer par une énorme Intifadha pour déloger les pouvoirs en place au prix de préservation d'intérêts colossaux. Le rôle de leadership qui lui a été confié par la communauté internationale la place au centre des enjeux du Sahel. Les Etats-Unis pensent même à revoir certaines de leurs attitudes à son égard. Le commandant en chef de l'Africom a lâché mercredi dernier, en plein milieu de son intervention aux travaux de la conférence, que «nous savons que nos règlements militaires sont frustrants mais nous vous demanderons d'être patients avec nous ». Le général Carter Ham avait certainement en tête les restrictions que son pays a imposées à certains pays, entre autres l'Algérie, pour la conclusion de contrats d'armement américain. Les Etats-Unis ont élaboré à cet effet un programme appelé « Lanterne bleue » obligeant les pays acheteurs à préciser certains éléments qui se cofonderaient parfois avec la souveraineté nationale. Le procédé, faut-il le dire, n'est pas nouveau. Robert Ford, alors ambassadeur américain en poste à Alger au milieu des années 2000, nous avait avoué que « notre pays ne vend pas les armes comme ça, il doit s'enquérir de certaines questions ». parce qu'exemple que le pouvoir en place ne les retourne pas sur ses populations». Il est aujourd'hui affirmé par un grand nombre d'observateurs que l'Algérie craint beaucoup plus les visées néocoloniales de la France dans la région plutôt que de se plier à des règlements militaires américains qui sont décriés par le monde entier. Elle se devra dès maintenant d'affiner ses stratégies pour encore les parfaire dans la prochaine conférence qui se déroulera dans six mois, probablement à Nouakchott, la capitale mauritanienne et sur le même canevas que celle d'Alger et que les puissants de ce monde ont accepté de reconduire. Ce rendez-vous dans une des capitales des pays du Sahel est un gage pour sa crédibilité en tant que leader de la sécurité dans la région. L'idéal est que le pouvoir en place le renforce par la réalisation d'un véritable changement politique au profit de l'instauration effectif et réelle d'un Etat de droit et de démocratie. Ce qui doit être le plus grand défi qu'il se doit de relever.