« Un pays sans film est comme une maison sans miroir pour refléter l'image de ceux qui y vivent »* Les rayons de lumière qui ont- illuminé, sept jours durant, Oran, se sont éteints. Le tour virtuel du monde arabe a pris fin. L'heure est aux bilans. N'en déplaise aux éternels insatisfaits, spécialistes de la critique destructrice, et aux éternels jeteurs d'anathèmes, ce rendez-vous d'exception a installé la ville, la région et le pays au croisement des cinématographies arabes. On contestera difficilement le fait que le désormais FOFA (festival d'Oran du film arabe) fut une édition pleine de découvertes et d'émotion, que les salles étaient pleines à craquer et que la couverture médiatique fut exceptionnelle. Cette 5e édition a offert au public oranais l'occasion de voir des films rares qui sont autant de miroirs privilégiés de l'évolution des peuples arabes. Comment ne pas évoquer l'excellent esprit qui a présidé aux projections, la largeur de vues lors des débats avec les réalisateurs et l'atmosphère d'amitié et de sympathie constamment présente ? Mais, peut-on en vouloir aux sots qui, lorsque vous leur montrez la lune, figent leurs regards sur votre doigt pointé. La réflexion qui suit, tente de dégager quelques suggestions à même d'éclairer la situation du cinéma arabe et de préciser ses tendances actuelles. La première chose qui vient à l'esprit est la fable de Platon relative à Teuh, qui venait de découvrir l'écriture. Très fier d'avoir inventé l'écriture, Teuth, s'en alla vite retrouver son roi Shamous : « Voici, ô Sire, lui dit-il, une connaissance qui aura pour effet de rendre ton peuple plus instruit et plus capable de se remémorer ». Mais Shamous le mit en garde : « Pour l'instruction, lui répondit-il, c'est un simulacre que tu procures à tes élèves par l'écriture mais point la réalité. Fais bien attention, ton art peut rendre leurs âmes oublieuses ; c'est du dehors, grâce à des empreintes étrangères, et non du dedans, qu'il s étudieront le monde. Lorsque avec ton aide, ils regorgeront de connaissances sans avoir reçu d'enseignement, ils auront l'illusion d'avoir touché à mille choses, mais la plupart du temps ils seront dénués de tout jugement ». Ces paroles s'appliquent parfaitement à toutes les inventions du monde moderne et plus particulièrement à la radio, à la télévision et au cinéma, qui sont en même temps écriture, moyens de connaissance pour cerner la réalité, mais aussi outils diaboliques d'avilissement de la pensée. CINEMA ET CULTURE ARABES Dire que le cinéma exerce une grande influence sur les masses relève du truisme. L'image fixe ou animée est aujourd'hui le plus puissant, le plus fascinant et le plus efficace des modes de communication. Que nous le voulions ou non, elle est devenue un grand fait de civilisation. Elle a pris possession de notre sensibilité, de notre intelligence et nous impose des attitudes, des réactions et des conduites. En tant que genre vivant, le 7e art permet, lorsqu'il parle à notre intelligence, de partager des regards et des dialogues artistiques et facilite l'échange et l'ouverture sur les autres cultures. Mais il est aussi arme redoutable car simulacre de la réalité. Les interdits, les clôtures et l'uniformisation des cultures liée à la mondialisation ont empêché le génie arabe de s'épanouir. Replié sur lui-même et enfermant sa culture à l'intérieur de frontières exclusives, le monde arabe n'arrive plus à émerger des conflits profonds et brutaux, savamment entretenus, qui le minent. Comment le sortir du factice ? La littérature, les médias et des arts et plus particulièrement le cinéma, peuvent inscrire la culture arabe dans le monde moderne en dévoilant au monde sa vitalité et sa maturité. C'est par la connaissance sans cesse renouvelée et non par le pétrole éphémère, que le monde arabe pourra se libérer de sa dépendance. C'est par son esprit créatif qu'il pourra s'engager dans la marche vers la plénitude perdue et vers la récupération de son histoire. Le cinéma peut aider à recouvrer de nouveaux rapports humains, à affronter les temps modernes et à s'orienter vers le progrès. Mais tout cela, présuppose une prise de conscience approfondie et tenace. Nul doute que l'Algérie accorde une attention particulière à son arabité et plus particulièrement en ces moments difficiles. Persuadés que la culture, les arts et plus particulièrement le 7e, peuvent jouer un rôle non négligeable pour raffermir les liens et la communication entre les peuples, le ministère de la culture organisateurs du festival consacré exclusivement aux films arabes, croient en cette passerelle culturelle entre pays frères proches ou lointains. Grâce à l'initiative généreuse de Madame la ministre à laquelle se sont associés les responsables des collectivités locales le Fofa se propose de joindre l'esprit humain aux chefs d'œuvres artistiques en revisitant les champs et contre-champs de la cinématographie arabe, en analysant les œuvres marquantes récentes et en célébrant les films et leurs auteurs. JOINDRE L'ESPRIT HUMAIN AUX CHEFS-D'UVRE ARTISTIQUES De par son don d'ubiquité, sa diffusion massive et son accessibilité immédiate même aux analphabètes, le film peut faire découvrir les réalités contemporaines du monde arabe à travers ses cinématographies et offrir ainsi, une orientation vers une évolution qui s'harmonise avec l'époque que nous vivons, une époque fertile en innovations qui constitue une lumière nouvelle à même de faire prendre conscience et de permettre de nouvelles perspectives de collaboration. Le souhait affiché par les organisateurs était manifeste: offrir une plus grande dignité au peuple arabe, aujourd'hui, divisé, manipulé et menacé d'implosion. L'espoir qui semblait les guider et les animer était d'offrir, par le biais de l'esthétique du 7e art et de la fraicheur de la culture cinématographique, un nouvel élan d'humanisme à même de fonder la fraternité entre citoyens arabes. Faire le point sur le produit artistique arabe, rechercher un dénominateur commun à toute la production filmique me semble être un leurre, surtout en ce moment précis où une nouvelle société arabe est en train de naitre. L'œuvre de chaque cinéaste est unique. Chaque auteur a une origine sociale, un itinéraire de formation et des motivations spécifiques. D'autre part, les films produits sporadiquement ne sont pas en nombre suffisant pour que nous puissions parler de tendance ou de mouvement ayant ses propres particularités. Les traits distinctifs du cinéma arabe se dessinent à partir de la diversité des imaginaires et de l'originalité des productions, mais sont aussi fonction des influences diverses, des pesanteurs sociales, des mentalités et du contexte politique, économique, culturel et commercial de chaque pays. Les écrans arabes puisent leurs sujets dans la riche matière que leur offrent les patrimoines nationaux. Tout comme les autres cinématographies, la filmographie arabe inscrit aussi bien des films commerciaux que des films qui se veulent critiques à l'égard de leur société, des films qui s'efforcent de refléter le quotidien ou encore des films progressistes ou de dénonciation, paternalistes ou même populistes La grandiose manifestation cinéphilique arabe qui vient de s'achever fut une aventure exaltante malgré les couacs enregistrés ici et là. On peut dire qu'Oran, ville qui recèle d'innombrables beautés et dont le ciel resplendit d'une histoire éblouissante, a réussi son pari. Les résultats encourageants et même positifs enregistrés montrent bien que la ville est en train de se forger un nom, une réputation et une histoire. Il serait cependant vain d'espérer des résultats tangibles en l'espace de quelques années. Tout comme il serait illusoire d'imaginer que quelques initiatives ponctuelles puissent, à elles seules, répondre aux attentes et besoins multiples. Faire progresser le film arabe, le rendre apte à s'acquitter de la mission qui lui incombe, exige du temps, de l'argent et de la persévérance, mais surtout une démarche cohérente qui ne saurait faire l'économie de tâtonnements. *Sabina Berman (réalisatrice mexicaine)