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Sellal à Batna : Une région riche à désenclaver
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 29 - 04 - 2012

Si les régions devaient être reconnues par une couleur, celle de la wilaya de Batna serait verte en raison de ses vastes espaces de blé et ses nombreux vergers. Pourtant, ses profonds territoires de Theniet El Abed et Bouzina n'ont jamais été contés par le secteur de l'Agriculture qui peine à se recomposer.
Adossés à la chaîne majestueuse des Aurès, les communes et douars de la wilaya de Batna s'imposent par leur nature verdoyante qui promet de bonnes récoltes en productions agricoles diverses. De mémoire de leurs habitants, Abdelmalek Sellal est le seul ministre en fonction qui en a fait le détour. «Jamais nous n'avons reçu un ministre ici, pourtant nous avons des capacités de production agricole appréciables, notamment en matière de fruits et légumes,» se lamente un agriculteur. Le secteur de l'Agriculture est pointé du doigt pour ne pas avoir répertorié des régions dont les potentialités en arboriculture n'ont pas d'égales à travers le territoire national. «C'est la première fois que je viens dans cette région qui possède d'importants apports en ressources en eau, les habitants ont besoin de structures à cet effet, pour assurer leurs productions agricoles,» nous a déclaré le ministre des Ressources en eau, en marge de son inauguration d'un projet de construction d'un barrage dans la contrée de Bouzina, précisément à Tagoust El Baydha, dans le fin-fond des Aurès. Pour y arriver, il fallait emprunter une route défoncée, tortueuse et poussiéreuse.
Situés à 70 km du sud-ouest de Batna, ces territoires généreux s'imposent à la vue par la couleur d'un vert foncé et chatoyant de nombreux périmètres d'arboriculture. Des peupliers se dressent dans les airs, signe d'une terre bien rassasiée en eau. «Que signifie Tagoust?» interroge Sellal un citoyen. «Je ne sais pas,» lui répond-il. «Mais tu es Kabyle non ? Alors tu es un Kabyle taiwan ? », lui lance le ministre.
LANCEMENT DE L'ETUDE POUR LA BARRAGE BOUZINA
«Tagoust, signifie la ceinture,» lui répondent d'autres habitants de la région. Ils étaient nombreux à venir l'écouter présenter le projet du barrage Bouzina dont les capacités sont fixées à 11 millions de m3. «Avec les apports que possèdent ces zones, nous pouvons faire plus grand,» estime le ministre. «On ne peut pas agrandir le barrage parce qu'il y a en bas du gypse, c'est l'ennemi de l'eau,» lui répond un ingénieur. «On étudiera pour qu'il se remplisse deux fois par an,» dit alors le ministre. L'étude de réalisation du barrage, sera finalisée, selon lui, en juin prochain, les avis d'appels d'offres seront lancés en juillet et les travaux devront commencer, au plus tard, à la fin de l'année en cours. «On installe tout de suite le comité des marchés,» rassure le wali. Le ministre anticipe encore et recommande «il faut tout de suite lancer l'étude des transferts pour gagner 4 ou 5 ans.» Il est question après la construction du barrage, d'opérer des transferts de ses eaux vers Bouzina/centre et Tigharghar. «On n'est pas encore indépendant, on ne nous laisse pas travailler,» lui lance un agriculteur qui explique qu'il a voulu faire de l'exploitation agricole mais qu'il a été empêché par les autorités locales. «Ils nous ont interdit de le faire parce qu'ils ont dit que c'était pour les forêts,» lui fait savoir l'agriculteur qui ajoute vouloir profiter du barrage pour investir dans l'agriculture. Dépossédés de leurs terres pour raison «d'utilité publique», les agriculteurs de la région ont demandé au ministre d'intercéder en leur faveur pour qu'ils soient rétablis dans leurs droits. «On vous rembourse sans problème,» assure-t-il. «Ce sont des terres privées mais nous n'avons pas d'acte de propriété,» lui disent certains d'entre eux. «Vous n'avez qu'à vous les faire établir par la justice,» leur conseille-t-il.
«LES FOSSES SEPTIQUES, ECOLOGIQUEMENT MIEUX»
«Bienvenue M. le ministre mais les propos que nous allons tenir sont au wali,» le préviennent d'autres. «Parce que j'ai demandé la protection de mes terres, on m'a amené jusqu'à la justice, nous avons un problème d'eau alors que le chef de daïra a une piscine chez lui…,» commence à dire l'un d'entre eux qui est arrêté net de parler par ceux qui l'entouraient. «Nous sommes menacés par les égouts qui déversent leurs eaux usées dans les oueds et à l'air libre,» renchérit alors l'agriculteur. Une affirmation que partage le directeur des Ressources en eau de la wilaya. «Nous allons lancer une étude pour régler ce problème mais après la construction du barrage,» lui promet le ministre.
Des spécialistes soulignent, toutefois, que la région n'a pas d'égouts mais des fosses septiques qui, «bien nettoyées à la chaux, écologiquement sont mieux et ne causent aucun problème à l'environnement.» Ils ne partagent donc pas les propos de l'agriculteur et du DRHW, parce que, nous disent-ils «si les égouts se déversaient dans les oueds, l'eau ne serait pas aussi limpide.» Si Bouzina et ses alentours ne sont pas encore programmés pour canaliser leurs eaux usées, Barika elle, bénéficie d'un projet de réalisation d'une station d'épuration dont l'un des objectifs est de protéger son oued, au même titre qu'Arris et Timgad lesquelles, pour la première, vise la protection de l'oued Labiod et la seconde le barrage de Koudiat Medouar. «L'avis d'appel d'offres est déjà lancé pour la station d'épuration de Barika,» dit Sellal. Interroger en marge de sa rencontre avec les habitants de la région sur les priorités à fixer à l'utilisation des eaux du barrage Bouzina, Sellal affirme qu'«exceptées quelques régions montagneuses, difficiles d'accès, nous avons réglé le problème de l'alimentation en eau potable (AEP) à 95% dans ces régions, aujourd'hui, nous encourageons l'agriculture.» Il inspectera à cet effet, la mise en service de la station de pompage d'Arris, le projet réservoir de Tazoult et celui de la retenue de Dicha-Tazoult. Le ministre a visité aussi le projet du transfert de Beni-Haroun-Koudiat Acerdoune, à proximité du barrage Koudiat Medouar. «L'agriculture utilise aujourd'hui 65% des ressources disponibles, avec ces réalisations, nous voulons atteindre 70%,» prévoit le ministre.
250 NOUVEAUX HECTARES POUR L'AGRICULTURE
Sellal annonce alors qu'avec la réalisation du barrage de Bouzina, il est prévu le désenclavement de la région et le développement de la production fruitière sur 250 nouveaux hectares. Oued Abdi, une région limitrophe à Bouzina, bénéficiera dans ce cadre, d'un important programme de reboisement pour protéger ses sols. L'oued Abdi tout autant que l'oued Bouzina, sont alimentés par la fonte des neiges dont des petites poches résistent encore au sommet des Aurès, narguant ainsi un soleil qui se fait déjà bien tapant.
Le directeur des Ressources en eau de la wilaya précise qu'«il y a aussi de nombreuses sources naturelles qui les alimentent.» Les nombreuses connections et transferts en eau renforceront le réseau AEP de Batna, Ain Touta, Barika, Ain M'Lila, Menâa, Koudiat Medouar, Theniet El Abed et d'autres contrées éloignées.
Avant qu'il ne quitte les lieux, le ministre prendra son temps pour écouter une petite fille lui lire un long poème à l'occasion, lui a-t-elle dit, de Youm El Ilm et du 50ème anniversaire de l'Indépendance. «Ils se sont tous rassemblés, l'Ouarsenis, les Aurès, le Djurdjura…,» s'époumonait la petite fille. Elle sera chargée par un notable de remettre une lettre à Sellal répertoriant, lui-dit-il «l'ensemble des couches sociales de la région.» La visite du ministre des ces zones oubliées a ravivé l'esprit d'une population qui cultive la terre avec beaucoup d'amour. Rares sont les habitations qui sont équipées de paraboles. «Le fait n'a rien de curieux, ces gens-là ne sont pas pollués par les diverses éruptions technologiques,» nous dit un responsable. Les terres sont pures tout autant que les quartiers où se regroupent les familles. Contrairement au reste du pays, ils ne sont pas envahis par les sachets volants et les ordures jonchant leurs routes. Retour sur Batna. Tout au long du trajet, nous faisions face au versant sud de la chaîne des monts de Belezma avec sa plaine riche en cultures maraîchères. «Le nom de Belezma a été donné à cette région du temps de l'Empire ottoman parce que les habitants refusaient de payer l'impôt ou ellezma, » nous explique un autochtone. La plaine rejoint entre autres, N'Gaous où la culture de l'abricot est particulièrement importante. La splendeur de Belezma est rehaussée par le pic des cèdres haut de 2.100m dont l'autre versant de la cédrie donne sur Merouana et Raïs El Ouioune. La chaîne de Belezma est classée parc national.
LE ZIRAOUI A L'HONNEUR
Avant de rejoindre Batna, s'impose une escale à Taghit Sidi Belkhir, dans la commune de Chir, non loin de la vallée de l'Oued Abdi. Le P/APC parle de la région avec ferveur. «Les terres produisent des pommes, des poires, des abricots en grandes quantités mais on n'a pas de circuit de commercialisation, » dit-il.
Taghit Sidi Belkhir est au pied du mont Mahmel de 2.321 m d'altitude. «Mahmel ou Hamel (en crue), les deux noms montrent qu'il y a énormément d'eau dans ces régions, il serait dommage de ne pas encourager l'agriculture,» dit le P/APC. Il fait même savoir qu'il y a une mine de fer qui était exploitée durant la colonisation et demande à ce qu'elle le soit aujourd'hui pour créer de l'emploi. Le mouhafedh de Bouzina qui accompagnait la délégation réclame dit-il «un peu de considération pour désenclaver des régions riches en diverses potentialités.» Le conservateur des Forêts évoque à ce titre « l'association des femmes rurales et «Ikrâa» que préside, dit-il Louisa Bendjerad et qui est spécialisée dans les produits du terroir, comme le miel, les tenues traditionnelles mais aussi les cultures maraîchères et la petite agriculture.» Le conservateur plaide la cause de ces femmes qui, note-t-il « travaillent pour les hommes.» Des femmes qui, ajoute-il «méritent le respect.» Elles en appellent au ministre de l'Agriculture et du Tourisme pour les aider à trouver des débouchés commerciaux à leurs produits. Taghit Sidi Belkhir invitera ses hôtes à déjeuner à la bibliothèque jouxtant le CEM du quartier. «J'espère que vous avez apprécié le menu,» nous demande l'intendant du CEM qui a eu la charge de le préparer. Ses équipes avaient bien fait les choses.
Habillés de tenues blanches, les cuisiniers avaient mis sur la table du «djari» («chorba» fric), une salade, un couscous aux légumes en prenant soin cependant, de présenter pour chaque personne une assiette de «ziraoui», une sorte de ‘rfiss' avec du petit lait («lben»). La tradition veut qu'on commence le déjeuner par le ‘ziraoui' et le ‘lben'. « Bonjour le cholestérol et la glycémie,» lance un cadre du ministère.
On continue notre chemin en passant par oued Tega, Tazoult (ex Lambèse) et son fameux pénitencier. «La prison va être fermée pour être déplacée à Hamla, à l'ouest de Batna, la ville du regretté Katcho, le grand chanteur chaoui,» nous dit le chauffeur. Avant d'entrer dans la ville de Batna, on remarque une imposante construction moderne, tout en verre. «C'est le nouveau centre anti-cancer qui n'est pas encore ouvert,» nous dit un Batni. Le ministre inspecte à Batna le projet de réhabilitation du réseau AEP de la ville, l'étude de protection contre les inondations à Bouarif et la route de Tazoult ainsi que le projet de réalisation d'une autre protection d'Ain Touta.
LES ABDAOUITE, CES PERDRIX DES CHAOUIA
Sellal prendra plaisir comme à son habitude, à discuter avec les citoyens sur des choses et d'autres. Les élections législatives s'invitent d'elles-mêmes, dans le débat. «Tu vas voter ?» demande-t-il à un jeune. «Oui, FLN…,» répond-il. «Ne me dis pas pour qui tu voteras, tu as le choix,» lui note Sellal qui se lance dans une discussion sérieuse. Ou presque. «Nous sommes en démocratie, il y a beaucoup de partis politiques, si un parti ne te plaît pas, tu changes,» a-t-il dit à un candidat malheureux qui se plaignait d'avoir été enlevé de la liste. «Il ne faut pas que tu sois triste, si ton parti ne t'as pas gardé, vas vers un autre, c'est comme les épouses, tu peux en changer quand tu veux,» lui lâche le ministre qui provoque un grand éclat de rires. Le mouhafedh de Batna est sûr que son parti va gagner. «Le FLN ne disparaîtra pas, sur les 14 sièges qu'a la wilaya de Batna, il aura entre 5 et 7 sièges,» prédit-il. Ce qui le laisse confiant, c'est dit-il «le fait que tous ces nouveaux partis n'attirent personne parce qu'ils n'ont pas d'idéologie à défendre.» Il se demande même «comment pense-t-on à structurer un parti en à peine 20 jours?». Il est convaincu que «mis à part 5 partis, tout au plus, tous les autres n'ont aucun programme qui attireraient les électeurs.» Un autre citoyen vient vers le ministre et lui dit qu' «on ne veut pas me donner de l'électricité.» Il lui répond «le wali est là, il sait qu'il y a une étude en préparation, ça va se faire, si on ne te donne pas de l'électricité, je vais en enfer.» Il prend l'agriculteur par les épaules et lui demande «tu ne m'as pas préparé el-barboucha (couscous) ?» Il lui répond «mais je n'ai pas d'électricité». Pourquoi tu cuisines avec l'électricité ?,» l'interroge-t-il.
Les habitants de la région de Theniet El Abed se rappellent des Abdaouiete, «ces femmes qui dansent comme des perdrix», disent-ils. On les trouvait dans toute la région d'El Abed, d'Arris, Timgad et autre Merouana et Ain Touta. « Elles dansent dans les mariages sous les airs de la «gasba» et du «bendir» et sur fond du baroud, c'est très beau à voir, » nous explique le chauffeur.
El Rahaba continuent à ce jour à animer, nous dit-on, de longues soirées de mariage. « Tous les Chaouis ont une arme, aucune famille ne se passe du baroud pendant les fêtes, » assure un Batni. Ereintés par une randonnée aussi longue en à peine quelques heures, ministre, cadres et journalistes ont été obligés de faire Batna-Alger par route en raison de la grève des aiguilleurs du ciel. «On se demande comment ont-ils pu déclencher une grève alors qu'ils ont travaillé le matin puisqu'on est venu par avion,» nous a dit Sellal.


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