Dans sa dernière livraison (*), la revue méditerranéenne de l'énergie Medenergie publie un entretien très instructif avec Fatih Birol, économiste en chef à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et ancien économiste à l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Il est également responsable de l'analyse économique des politiques relatives à l'énergie et au changement climatique, cet expert est aussi en charge de la publication, au sein de l'AIE, du World Energy Outlook. Il s'agit d'une publication de référence où sont décrites les grandes mutations en matière de politique énergétique sans oublier les principales perspectives en la matière. PRINTEMPS ARABE ET ENERGIE Dans l'entretien, Fatih Birol avance ses craintes selon lesquelles les troubles politiques que connaît le monde arabe depuis 2011 ; pourraient avoir pour conséquence une baisse des investissements dans le secteur énergétique. «Si l'investissement dans cette région d'ici à 2015 tombe d'un tiers au-dessous des niveaux que nous jugeons nécessaires, on aboutirait à une réduction de la production de pétrole de 6 millions de barils par jour (mb/j) d'ici 2020» prévient ainsi l'économiste. Pour indication, 6 mb/j correspondent à plus du tiers de la consommation quotidienne des Etats-Unis (20 mb/j). Outre le fait que le baril pourrait se maintenir à 150 dollars durant cette période, Birol prédit aussi que «la diminution de la production serait probablement accompagnée par une accentuation significative de la volatilité des prix». L'analyse par l'AIE des capacités de production de tel ou tel pays arabe permet aussi de remettre en perspective les récents événements en Afrique du nord et cela à l'aune de leur caractère stratégique pour l'approvisionnement pétrolier et gazier de la planète. «La Libye est l'un des pays d'Afrique du nord où nous nous attendons à une croissance de production pétrolière dans les prochaines décennies» note ainsi l'économiste. Pour autant, ce dernier rappelle que «les plus grandes sources de croissance de la production de pétrole à l'horizon 2035 se situent au Moyen-Orient, notamment en Irak et en Arabie Saoudite, ainsi que dans d'autres pays hors de cette région tels que le Brésil, le Canada, le Kazakhstan et le Venezuela.» L'importance de la région Afrique du nord et Moyen-Orient concerne aussi le gaz naturel «promis à un avenir brillant et même à un âge d'or». Ainsi, l'Union européenne «importera 540 milliards de mètres cubes de gaz en 2035, en hausse de 310 milliards de mètres cubes par rapport à 2009». Et, selon l'AIE, la grande part de ces importations continuera à provenir d'Europe de l'Est et d'Eurasie. Il y aura aussi «une part croissante en provenance de l'Algérie, du Nigeria et de la Libye» relève Fatih Birol qui estime que les échanges se feront essentiellement sous la forme de gaz naturel liquéfié (GNL). Certes, il admet qu'une partie des exportations passera via des gazoducs mais l'AIE, selon lui, ne fait pas «de projections pour des pipelines spécifiques» dans la mesure où il y a «trop d'incertitudes sur les projets qui seront réalisés et à quelle date». Il s'agit là d'un point de vue à prendre en compte à l'heure ; où l'Algérie continue de croire dur comme fer à l'importance stratégique de ses projets de gazoducs méditerranéens. Cela alors que nombre de spécialistes plaident pour une augmentation des capacités de liquéfaction du gaz.
INCERTITUDES AUTOUR DES PROJETS SOLAIRES Fatih Birol est tout aussi prudent concernant les multiples projets de production d'électricité solaire au Maghreb (Medgrid, Plan solaire méditerranéen, Desertec). «La qualité de sa ressource solaire et l'étendue de ses grandes zones inhabitées fait de [l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient] une zone idéale pour le développement à grande échelle d'énergie solaire», reconnaît l'économiste. Mais, pour ce dernier, «il y a de nombreux défis au plan politique, technologique et commercial qui doivent d'abord être relevés». Et d'affirmer que «le succès du développement de solaire à concentration à grande échelle [en Afrique du Nord et au Moyen-Orient], entraînant des exportations vers l'Europe, dépendra en grande partie de l'acceptation publique dans les pays d'exportation». En clair, il s'agira de savoir à quelles conditions les Algériens, comme les Tunisiens ou les Marocains seront d'accord pour que leur pays produise de l'électricité solaire destinée à être exportée vers l'Europe. (*) Numéro 38, mai 2012. www.medenergie.com