Le discours s'adresse à la raison, la propagande s'adresse à l'instinct. Qu'a-t-on dit aux Algériens depuis des mois? Que s'ils ne votent pas, ils vont être attaqués, le pays va être volé ou détruit et recolonisé. Par qui ? Les Autres, l'OTAN, les sionistes. L'idée implicite était que la démocratie est une menace et le changement est une aventure risquée. Du coup, face à la mer et au lendemain, il ne restait qu'une solution: «nous», a dit le régime, ses partis, ses proches. Le vote FLN s'explique autant par le discours de Bouteflika qui a donné une consigne, indirecte (vous savez quel est mon parti), que par la peur. La peur a été nourrie chez les Algériens qui, face à demain, ont choisi «hier». Les Algériens ont eu peur du «Printemps arabe», du changement, de la mort et de la menace du chaos. Ils ont donc voté «conservateurs». C'est un vote mode 1962 pour urgence 2012. Du coup, deux grandes tendances: ceux qui étaient contre le régime n'ont pas voté; ceux qui sont pour ce régime ont voté pour lui, c'est-à-dire pour les siens et ses hommes. Du coup, l'Algérie n'a pas changé et ne changera pas de sitôt. Les vieux peuvent déclarer la fin de leur génération, ils ont fini par faire vieillir un peuple entier. Les jeunes Algériens ne votent pas ou votent comme s'ils avaient soixante-dix ans. Du coup, de la tristesse et de la colère contre soi et sa nationalité. Cela ne «changera» pas car beaucoup d'Algériens préfèrent résoudre la peur par le repli sur l'histoire ou sur le ciel que par l'audace. On laissera de côté les sigles et les familles politiques pour ne retenir que la lecture par l'instinct. Celui que le Pouvoir sait lire, décoder, manipuler et provoquer. Toute la campagne électorale d'Ouyahia & Cie a été fondée sur la peur et la menace et la fatwa. La religion par l'enfer pour les désobéissants, les zaouïas pour les égarés, les imams pour les somnambules et le risque de désordre CCP pour les vieux âgés qui ont peur de la vie qui va être la mort. Du coup, on a compris la recette. Pendant que des partis parlaient de programmes et de promesses, le régime et ses islamistes de service ont transmis le message le plus important: si ce n'est pas moi, c'est le chaos. Donc la peur a voté, pour ne pas avoir peur. Du coup, on devine un peu le rire immense des hommes du régime et des seigneurs de ce pays, bombant le torse devant les seigneurs des autres pays arabes: «Les nôtres, nos serfs, on sait les traiter, leur faire peur, les faire asseoir et ils nous sont obéissants et cela marche, contrairement à ce qui se passe chez vous». Du coup, on se lève pour s'asseoir pour encore des années. Cela ne va pas changer la monarchie plurielle de l'Algérie. Les Algériens, ceux qui ont voté, ont refusé «le lendemain» au nom du «c'était mieux hier» et du «l'Islam est peut-être la solution». Du coup, contrairement à ce que l'on croit, cette élection a quelque chose de triste et de désespéré comme une réédition devant l'obscure menace de la maturité. Le monde entier attendait et redoutait une victoire des islamistes en Algérie, alors que c'est pire: c'est la victoire de personne, sauf du statu quo. Le régime a gagné encore une décennie et beaucoup d'Algériens vont perdre du temps. Il y a désormais une rupture dans ce pays. Une cassure. Une défaite devant la puissance sourde de la gérontocratie et de l'empire des vieux, des morts, des martyrs et de leurs fidèles descendants.