Le pays ne bouge plus. Sur quoi écrire ? Vus de près, les Algériens se lèvent le matin, font lever le jour, vont au travail, d'autres se brûlent, certains commentent, des gens s'assoient, un peu s'en vont, des enfants heurtent nos murs d'adultes, le politique continue de mâcher la guerre de libération, on vole et on détourne, mais le tout ressemble à ce qu'une internaute amie appelle «l'immobilisme actif». La vérité est que nous ne savons pas quoi faire du temps qui arrive ici. Se révolter fait peur pour les vitres, les vies et les voitures. S'asseoir n'est pas une bonne position pour marcher sur la lune. Changer en douceur, comme dit le régime, c'est ne pas changer du tout. Quand un régime vous dit «transition», cela veut dire qu'on ne va rien changer mais qu'on va le faire doucement. C'est un univers de vieillissement vigilant. Qu'écrire sur un vieux sinon sur sa mémoire ? Mauvaise issue donc. La bonne question est : qu'est-ce qui fait l'actualité, actuellement ? On ne sait plus. C'est flou, lointain, impersonnel. Ce qui a retenu la rétine nationale, ce sont les embrassades entre Bouteflika et le président libyen du CNT, sous l'œil de l'Emir du Qatar. Des Algériens montés contre le CNT, groupes de soutien du front de refus du «printemps arabe», se sont sentis cocus de l'affaire. Les a-t-on utilisés pour faire des bruits de tambour avant de les disperser dans le vent comme les éradicateurs de base des années 90 ? Possible. L'Algérie n'a pas inventé les verres jetables mais les hommes jetables. Dans tous les cas, Bouteflika a ses affaires étrangères, le pays a ses affaires étrangères, les harraga ont leurs affaires étrangères et le ministère de tutelle a ses affaires étrangères. Beaucoup de moutons doivent se suicider dans le cadre de cette affaire Algérie-CNT. Mis à part ça ? Rien, répond le nihiliste. «Louange à Dieu», répond le musulman courbé sur terre. Un soupir, répond la jeune fille. «L'essentiel, ce sont les parents», répond le descendant qui n'a pas trouvé sa place dans le pays en descendant de ses géniteurs. «Demain, on travaille ?», demande le salarié. C'est un pays de vieux. A l'époque de Chadli, la formule était de prendre le plus vieux avec le grade le plus ancien. On a supprimé la condition du grade mais on a gardé celle de l'âge. Pour la présidence ou même pour être ambassadeur dans un pays important, apparemment. Le pays est donc vieux, tremble, discute de ses médicaments et de ses assurances, se préoccupe de l'au-delà et de la mosquée la plus haute, voyage peu, évite la foule et les escaliers, regarde les nouveau-nés comme une menace ou une pollution sonore, explique la terre par la fatalité et la pesanteur, se meut doucement pour ne pas casser sa mémoire, voyage seulement les yeux fermés dans sa tête lourde et ne voit pas ce que lui reprochent les grossesses du monde qui veulent prendre le volant et l'horizon. «Nous sommes tous des Bouteflika», dit l'instinct national ramolli. La plus vieille ride du monde est le soupir, répond un paléontologue.