Dans la série des questions genre «où est passé Ornicar ?», et après celle de «où sont passés les islamistes ?», vient celle de «où sont passés les généraux ?». Ce fut un classique du genre que d'expliquer longtemps l'Algérie par un bicéphalisme post-révolution : il y a la Présidence, il y a les généraux. La première peut être nommée ou dégommée, les seconds, non. On a appelé cela la primauté du militaire sur le civil, ou le «cabinet noir» ou «le cercle des généraux». Dans ce schéma, le Président de la RADP était soit un militaire habillé en civil, soit un civil choisi par des militaires. Tout journaliste étranger débarquant en Algérie venait avec cette clé et y cherchait la serrure avant d'aboutir dans un restaurant. Du coup, cette question négligée durant l'actuelle course à la Présidentielle : où sont passés les militaires ? Réponse officielle : ils sont dans les casernes. Le ministre de la Défense étant lui-même Président-ministre-candidat-Président, la question ne se pose plus. Le cabinet noir est officiellement déclaré cabinet fermé donc. Pour une fois donc, et officiellement toujours, les pouvoirs sont concentrés en un seul muscle, servant de moteur à un seul bras. Le tabou n'est pas cassé, il est réformé. Les «Décideurs» ne sont plus dans la caricature de haut officiers gardiens de la République et garants des choix, mais une vaste galaxie d'alliés, d'hommes d'affaires, de cercles proches, de conseillers et de soutiens à casquettes variables, tombés d'accord autour d'un seul point de concentration, capables d'assurer l'équilibre et le consensus. Premier événement de ces présidentielles et de celles qui les ont précédées, la polycratie. L'élargissement de la base «décidante» et la fondation d'un pluralisme clandestin. Signant la fin de la caricature militariste, la péremption d'une formule pré-électorale longtemps considérée comme définitive et indépassable. Certains l'ont même remarqué depuis le fameux «je ne veux pas être les trois quarts d'un Président» de Bouteflika : le Pouvoir s'est réformé sans réformer le pays. «Le vote des généraux» est une légende urbaine pas tout à fait résolue, mais désormais pas suffisante. Quoique que l'on dise, Bouteflika a réussi son coup à ce niveau et a mis fin à l'une des explications du Mystère du règne, la plus tenace depuis l'Indépendance. Les militaires ne votent donc plus ? Si, ils votent mais plus seuls. Ou ils votent autant que nous : partiellement. S'il n'est pas encore démocrate, le régime est déjà ultra-présidentiel. Sa force n'est plus dans le consensus, mais déjà dans l'Alliance élargie. Il a imposé une nécessité pour casser une tradition, nous dit-on. Possible. L'analyse ne peut pas aller plus loin faute d'ampoules, mais la mutation est là : dans les formes au moins. Les Généraux ont eu bon dos, à raison ou à tort, pour expliquer le conteneur personnalisé autant que le choix des présidents, mais cela ne suffit plus aujourd'hui. Le Pouvoir et son Etat ne sont plus ni militaires ni tout à fait civils, ils sont Bouteflikiens, unipersonnels, consensuels. D'où vient la Force alors ? De l'instinct de survie d'une autre majorité silencieuse peut-être. Les plus proches de l'homme disent que lorsque Bouteflika fronce ses sourcils, c'est plus terrible que l'ordre d'un galonné. Le bonhomme est connu pour être capable de fusiller du regard, le doigt sur la gâchette de son humeur. C'est peut-être cela l'explication. La plus cinématographique.