Certains parlent déjà, en pensant à l'Egypte, d'un reflux du «printemps arabe» qui n'aurait ainsi duré qu'une saison. Les historiens expliqueront, peut-être, qu'au sein des opinions arabes, heureuses de voir des tyrans s'enfuir, l'évolution de la situation en Libye avec une intervention armée de l'Otan, fondée sur une lecture abusive des résolutions du Conseil de sécurité, a constitué le premier grand accroc à l'élan général de sympathie. Pour les pays voisins de la Libye, le Mali notamment, il y a un dommage collatéral massif avec un quasi-effondrement de l'Etat et l'installation des groupes djihadistes au nord du pays. En Libye même, la libération en question débouche sur l'instabilité avec une série d'attentats à Benghazi qui seraient - le conditionnel est toujours de mise - imputables à des djihadistes d'Al-Qaïda. Et à l'approche de l'élection d'une assemblée constituante, le 7 juillet, la Libye donne encore l'image d'un pays avec un pouvoir morcelé entre les milices qui contrôlent des villes ou des morceaux de région. Dans le sud-est de la Libye, à Koufra, des affrontements ont opposé des Toubous à des «forces liées à l'armée libyenne» faisant au moins 23 morts. On est devant une guerre ethnique qui n'ose pas dire son nom. Il y a déjà des affrontements entre les Toubous et les Zwei qui ont fait plus de cent morts en février dernier. Bien entendu, il n'est pas inutile de relever que Koufra, ville frontalière avec trois pays, l'Egypte, le Soudan et le Tchad, est un passage par où tout passe : cigarettes, drogues, alcool et armes. La stabilisation de la Libye - où l'autorité du Conseil national de transition est contestée par les villes-milices (Misrata, Zenten) et où des revendications autonomistes se sont exprimées en Cyrénaïque - tarde à se faire. Dans les médias occidentaux qui, c'est normal, se sont beaucoup intéressés à la Libye quand les avions de l'Otan et les forces spéciales agissaient, la Libye est devenue secondaire. Et pourtant les effets ne font que s'élargir dans la région du Sahel et les solutions ne sont pas évidentes. Ainsi, le Conseil de sécurité n'a pas apporté l'appui attendu par l'Union africaine et la Cédéao de créer une force d'intervention au Mali. Il s'est contenté de «prendre note», des membres du Conseil de sécurité s'interrogeant, en off, sur les objectifs de la force, comment elle sera mise en œuvre et quels seront ses soutiens logistiques et financiers. Curieusement, ceux qui pourfendaient «l'attentisme» de l'Algérie, à l'image des responsables tchadiens, ne semblent pas trouver beaucoup à redire à ces arguments. En attendant, ainsi que le révèle le Washington Post dans son édition du 14 juin dernier, les Etats-Unis ont étendu les «opérations des services secrets en Afrique» avec Ouagadougou comme «plaque tournante» et des avions-espions «non armés» qui volent sur des «centaines de miles au Nord-Mali, en Mauritanie et au Sahara, où ils recherchent des combattants d'AQMI». Le journal souligne que «l'implication rampante» des Etats-Unis dans les conflits en Afrique suscite quelques réserves chez certains responsables du département d'Etat qui relèvent que la «plupart des cellules terroristes en Afrique poursuivent des objectifs locaux, et non ceux mondiaux, et ne présentent pas une menace directe pour les Etats-Unis». Il n'en reste pas moins qu'avec la doctrine de la «guerre globale», toujours en vigueur, mise même sous Obama, cette implication rampante pourrait s'accentuer. Avec le risque d'aggraver les problèmes au lieu de les résoudre.