Pour le diplomate algérien Lakhdar Brahimi, médiateur de l'ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, il est hors de question d'une quelconque pression, arabe ou occidentale, dans sa mission. A la veille de son départ tant attendu à Damas où il doit rencontrer le président Bachar al Assad , il a sèchement rabroué au Caire le Premier ministre du Qatar Hamad Bin Jassem (HBJ), qui a voulu rien moins que de lui imposer le point de vue de Doha et celui de ses mentors occidentaux. Après avoir refusé de se rendre dans la suite de HBJ qui l'y a invité, Brahimi, qui a reçu dans son hôtel le Premier ministre qatari accompagné du SG de la Ligue arabe Nabil al Arabi, a bien précisé à son hôte qu'il est investi d'une mission qui lui a été confiée par le SG des Nations unies. Ainsi, il n'est pas question, comme le lui demandait HBJ, de fixer une date limite à sa mission en Syrie. Pas question, non plus, d'un transfert du pouvoir imposé par certaines puissances. «Je ne travaille pas comme ça», a répliqué le diplomate algérien au chef de la diplomatie du Qatar. «Je suis l'envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU, je ne veux pas qu'on me fixe des limites», a-t-il expliqué. Le Premier ministre qatari a quitté la salle, en colère, et son ambassadeur n'a pas participé à la réunion qui eut lieu ensuite entre les ambassadeurs arabes et Brahimi. Cette escarmouche entre Brahimi et le patron de la diplomatie du Qatar, un des chefs de file de la ligne de front anti-Assad au sein des pays arabes, résume parfaitement une sorte d'impasse diplomatique de la crise syrienne, alors que les combats redoublent d'intensité chaque jour entre les forces gouvernementales et l'opposition. Arrivé jeudi dans la capitale syrienne, le médiateur onusien a rencontré hier vendredi des membres de l'opposition de l'intérieur, tolérée par Damas. Hassan Abdel Azim, porte-parole du Comité de coordination pour le changement national et démocratique (CCCND) qui regroupe des partis nationalistes arabes, kurdes, socialistes et marxistes, a indiqué qu'une délégation devait "rencontrer M. Brahimi vendredi après-midi afin de l'informer du point de vue du CCCND et des moyens de résoudre la crise syrienne". "Nous soutenons M. Brahimi, mandaté par la Ligue arabe et l'ONU pour régler la crise, et nous coopérerons avec lui car la violence a atteint des niveaux inouïs et le peuple syrien souffre des tueries, des destructions et de l'exil", a-t-il ajouté. Auparavant, M. Lakhdar Brahmi a rencontré jeudi à Damas dés son arrivée le chef de la diplomatie syrienne Walid Mouallem, qui l'a assuré de "la pleine coopération de la Syrie pour faire aboutir l'intérêt du peuple syrien, malgré la difficulté, le succès de la mission de M. Brahimi dépend du sérieux de certains pays qui lui avaient conféré son mandat, et de leur volonté d'empêcher d'autres pays qui abritent et arment les terroristes de le faire". Des déclarations qui épaississent davantage l'état dans lequel la Syrie se trouve, après 18 mois de guerre civile, plusieurs milliers de réfugiés, des villes détruites par des bombardements quotidiens et un pays à genou. Ce qui a inévitablement fait réagir M. Brahimi, qui a relevé dés son arrivée à Damas que la crise en Syrie était "sérieuse" et qu'elle s'"aggravait". "Nous sommes venus en Syrie pour nous entretenir avec nos frères syriens car il y a une crise sérieuse en Syrie et je pense qu'elle s'aggrave", a affirmé Lakhdar Brahimi, avant de préciser que 'je pense que tout le monde est d'accord pour souligner la nécessité d'arrêter l'effusion de sang et de restaurer l'harmonie en Syrie et nous espérons que nous réussirons" dans cette mission, a-t-il ajouté. M. Brahimi 's'entretiendra avec les responsables en Syrie et nous sommes confiants: il est à même de comprendre les développements de la crise et la manière de régler les problèmes malgré les complications", a affirmé le vice-ministre syrien des Affaires étrangères Fayçal Meqdad, qui a accueilli Lakhdar Brahimi à son arrivée dans un hôtel à Damas. "Nous sommes optimistes et nous souhaitons à Lakhdar Brahimi tout le succès possible", a-t-il ajouté. Pour certains diplomates, la crise en Syrie est devenue l'enjeu de stratégies aussi bien arabes qu'occidentales. «Le conflit syrien est comme un immeuble de plusieurs étages : il y a d'abord la guerre interne, puis ensuite toutes les confrontations géostratégiques», estime l'ambassadeur de la Ligue arabe en France, Nassif Hitti. Pour lui, 'les questions stratégiques sont aussi cruciales pour ceux qui veulent la chute d'Assad que pour ceux qui veulent son maintien''. En Syrie, il y a 'un jeu de multiples influences dont personne n'a les clés'', relève un diplomate français. C'est en fait le rôle de M. Brahimi de dénouer l'écheveau de cette crise, qui a atteint une impasse diplomatique entre partisans et opposants du régime de Damas au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Enfin, les combats faisaient rage hier à Alep et Damas, alors que les violences ont fait en 18 mois de crise près de 27.000 morts, selon des ONG syriennes de l'opposition.