Les rançons, faut-il les payer ou non ? Pour Washington, la réponse est on ne peut plus claire pour mettre un terme aux financements d'Al-Qaida. Le dossier est d'autant plus frappé du sceau de l'urgence. Le sous-secrétaire américain au Trésor pour la lutte contre le terrorisme et le renseignement financier, David Cohen, a appelé, à partir de Londres, à briser ce qu'il qualifie de « cercle vicieux » des enlèvements contre rançon, considérant cette dernière comme « la plus grande menace », en matière de financement du terrorisme. En évoquant les enlèvements de citoyens occidentaux, en terre conquise, par les troupes d'Al-Qaida ou ses affidés, les Etats-Unis rappellent une réalité indissociable de la lutte antiterroriste. Le responsable américain a abordé cette question avec plusieurs hauts responsables en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni pour mettre en place une parade unifiée face à cette forme de financement du terrorisme. Pour Washington, le payement des rançons met à mal les succès obtenus par la communauté internationale face à Al-Qaida, bousculée dans ses méthodes traditionnelles pour son financement, principalement issues de la collecte de fonds, obligée dès lors de se tourner vers ses « succursales » Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQAP) pour lever les sommes d'argent indispensables pour mener à bien ses opérations militaires ainsi que le recrutement et l'endoctrinement de nouveaux membres, le paiement des salaires, l'établissement de camps d'entraînement ou encore l'acquisition d'armes et de matériels de communication. A ce propos, M. Cohen ciblera le Mali, en particulier, mais aussi dans une certaine mesure, le Yémen, comme territoires de chasse des groupes d'AQMI et d'AQAP qui se sont renforcés avec l'argent des rançons. En tout, ce sont 120 millions de dollars collectés par les organisations terroristes en paiements de rançons, au cours des huit dernières années avec en tête l'AQMI qui a généré le plus d'argent depuis 2008. L'autre constat inquiétant fait par le responsable au département américain du Trésor, est l'augmentation continue des montants des rançons exigées, passant de 4,5 millions de dollars en 2010 à 5,4 millions de dollars en 2011. Selon sa propre lecture, M. Cohen a noté que les groupes armés sont allés au-delà de ces demandes de rançons, investissant le champ du racket. Il a fait savoir qu'une filiale d'Al-Qaïda avait tenté d'extorquer des paiements annuels importants, s'élevant à des millions d'euros par an, auprès d'une société basée en Europe, en échange de la promesse de ne pas cibler ses intérêts en Afrique. Il s'agirait probablement de la française Areva' basée au Niger. Pour lui, payer une rançon équivaut à financer d'autres opérations d'enlèvements qui, à leur tour, conduisent à la demande d'autres rançons, d'où le terme de « cercle vicieux », en appelant les gouvernements européens à ne plus payer de rançons. Pourtant, les Européens acceptent mal cette position américaine de donner des leçons de morale puisque selon des parlementaires français, tous les pays concernés « paient des rançons » pour voir libérer leurs ressortissants otages d'AQMI, au Sahel. « On ne parle pas des rançons. Mais on le sait, tout le monde paie, y compris les Etats-Unis », affirment-ils. « Quand ce ne sont pas les gouvernements, ce sont des entreprises privées », avait déclaré à la presse le député PS François Loncle, co-auteur avec son collègue UMP Henri Plagnol, d'un rapport d'information sur la sécurité au Sahel. « 90% des ressources d'AQMI proviennent des rançons versées. Il faut mettre fin à une surenchère sans fin », atil poursuivi. « On évoque 90 millions d'euros (réclamés par AQMI) pour la libération des 4 otages (français enlevés au Niger en septembre 2010), encore retenus par AQMI. C'est plus de deux fois l'aide annuelle de la France au Mali ou au Niger », a souligné Henri Plagnol. Au total, 12 Européens, dont 6 Français, sont retenus au Sahel par AQMI et le MUJAO. Pour Serge Daniel, spécialiste du Sahel, il est clair qu'il faut arrêter de payer les rançons pour ne pas renforcer davantage les groupes terroristes. Selon lui, l'Espagne a payé 8 à 9 millions d'euros pour obtenir la libération de ses otages. Le Canada a payé quelques millions d'euros, l'Autriche entre 2 et 3,5 millions d'euros pour la libération de deux Autrichiens. L'Italie 3 millions d'euros en 2002/2003, l'Allemagne a payé 5 millions d'euros pour la libération d'otages européens, la Suisse a été aussi généreuse avec les preneurs d'otages. « Continuer à payer une rançon, c'est continuer à faire tourner l'industrie de l'enlèvement », insiste-t-il, soulignant que des pays comme la Grande-Bretagne ne paient jamais de rançons. Et c'est ce que préconise Washington qui suggère trois « lignes de défense » pour lutter contre ce fléau. M. Cohen citera, en premier lieu, la prévention en proposant, entre autres, que les gouvernements ou les compagnies d'assurances, notamment, devraient publier des conseils aux voyageurs sur les zones à risques, notamment celles sujettes à des enlèvements contre rançon. La deuxième ligne de défense consiste, a-t-il poursuivi, à refuser de payer tout en envisageant une intervention militaire ciblée pour la libération des otages. Mais dans le cas où le gouvernement paye la rançon, a-t-il encore ajouté, il recommande d'essayer de suivre la traçabilité des fonds versés. Rappelons que théoriquement 4 otages algériens sont encore aux mains du MUJAO dans le Nord Mali et qu'officiellement l'Algérie a toujours refusé de payer les rançons.