Madame Catherine Ashton évoque dans cette interview les grands principes qui gèrent la coopération entre l'Algérie et l'Union européenne et les dossiers que les deux partenaires négocient ensemble. Elle a cependant préféré rester «très diplomate» sur certains de leurs aspects à l'exemple «des conditions qui ne sont pas remplies avec l'Algérie» pour prétendre à «un partenariat à la mobilité» conclu déjà par l'UE avec certains pays de la région. Elle le sera tout autant en évitant de préciser «les spécificités » qui ont été prises en compte par l'UE pour que l'Algérie accepte d'adhérer à la Politique européenne de voisinage (PEV). Le Quotidien d'Oran: Votre visite à Alger intervient quelques jours après celle de la secrétaire d'Etat américaine, la priorité de votre agenda serait-elle aussi accordée à la situation dans le Sahel et la crise dans le nord du Mali? Catherine Ashton: Je suis très contente de venir en Algérie qui est un partenaire très important dans notre voisinage sud. Ma visite ici était programmée de longue date, bien avant que la situation au Mali ne se détériore mais elle n'a pu se réaliser qu'aujourd'hui. Lors de nos entretiens, nous examinerons ensemble nos relations bilatérales ainsi que les sujets d'actualité internationale. Q.O.: L'Algérie refuse une intervention militaire dans le nord du Mali et appelle au dialogue, partagez-vous cette position? Sinon que propose l'UE pour résoudre la crise sans provoquer l'embrasement de la région? C.Ashton: L'UE, comme l'Algérie, a salué l'adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 2071. L'UE a aussi appelé à l'approfondissement du dispositif de coordination avec les partenaires clés au Mali en vue d'accroître l'efficacité de l'appui au processus de transition, tant au plan politique, sécuritaire qu'économique. Lors du dernier Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'UE du mois d'octobre, ceux-ci ont demandé que des travaux de planification d'une éventuelle mission militaire dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense commune soient poursuivis en élaborant en particulier un concept de gestion de crise relatif à la réorganisation et à l'entraînement des forces de défense malienne et à la définition d'une stratégie de sortie. Ces travaux sont conduits en étroite concertation avec les organisations internationales, en particulier l'ONU, l'UA et la CEDEAO, ainsi que les Etats et les acteurs concernés, afin de s'assurer de la complémentarité des efforts respectifs. Q.O.: Au plan bilatéral, quel dossier mettriez-vous en avant ? C.Ashton: Nous allons passer en revue toutes les questions bilatérales. Comme vous le savez, l'Algérie a exprimé sa disponibilité à participer à la nouvelle Politique européenne de voisinage (PEV) et nous sommes en cours de discussion pour l'élaboration d'un plan d'action commun. Celui-ci aura pour objectif de concrétiser davantage les engagements réciproques pris par l'Algérie et l'Union européenne dans le cadre de l'Accord d'association en vigueur depuis 2005. Il permettra d'identifier un nombre limité d'objectifs mutuellement agréés, sur lesquels se concentrera notre coopération bilatérale. Il devra permettre d'assurer des avancées concrètes qui auront un impact sur le développement économique et social en Algérie mais aussi sur le plan de l'approfondissement des réformes politiques. Q.O.: Quelles seraient les spécificités qui auraient été prises en compte par l'UE pour convaincre l'Algérie d'adhérer entièrement à cette politique ? C.Ashton: Effectivement, nous sommes en train d'élaborer un plan d'action commun UE-Algérie dans le cadre de notre négociation pour la participation de l'Algérie à la PEV. Ce plan d'action va nous permettre d'avancer ensemble sur toute une série de secteurs tels que : la coopération et les initiatives continentales et régionales, la coopération en matière de justice et de sécurité, la gestion des frontières et la mobilité des personnes, le partenariat économique, l'adhésion de l'Algérie à l'OMC ainsi que le développement socio-économique inclusif, pour n'en citer que les principaux. Bien entendu, ce plan d'action sera spécifique à l'Algérie. Q.O.: L'UE a accepté de retarder le démantèlement tarifaire pour permettre aux entreprises algériennes de se mettre à niveau. Penseriez-vous que cette durée permettrait une relance effective de ces entreprises ? Feriez-vous le point avec les autorités algériennes sur l'Accord d'association ? Y aurait-il des problèmes en suspens? C.Ashton: Dans le cadre de l'Accord d'association, nous avons réussi cet été à trouver un accord sur le démantèlement tarifaire après deux ans de discussion et presque dix rounds de négociations. Cet accord a été salué par les deux parties et reflète la bonne volonté commune de progresser dans nos relations. L'Accord d'association a été communément signé par les deux parties en 2002, est rentré en vigueur en 2005 et constitue la base de notre relation bilatérale. Le point à faire avec les autorités algériennes est sur l'avancée de nos relations bilatérales, dans tous les domaines couverts par l'Accord (dialogue politique, coopération économique, coopération scientifique technique et technologique, environnement, coopération sociale et culturelle, etc.), mais aussi dans le cadre de la nouvelle PEV proposée par l'UE au lendemain des bouleversements régionaux communément appelés «Le printemps arabe». Q.O.: L'UE continue d'imposer de grandes restrictions à la circulation des personnes et des biens de la rive sud vers la rive nord. Est-il encore possible de négocier avec l'Algérie des facilitations dans ce sens ? C.Ashton: Il n'y a pas de restrictions à la circulation des personnes et des biens entre l'Algérie et l'UE. Les citoyens algériens comme les citoyens européens ont besoin de visas pour voyager dans leurs territoires respectifs. Depuis octobre 2011, l'UE a mis en place un nouveau système d'information sur les visas, le VIS (visa information system) avec pour objectif de simplifier les démarches, ce qui a été accompli. Le taux de refus des demandes de visas a beaucoup diminué depuis l'année dernière et plus de 220.000 visas ont été accordés l'année dernière par les consulats européens en Algérie. L'UE a proposé à certains pays de la région de lancer un dialogue sur le partenariat à la mobilité, cependant ceci suppose certaines conditions qui ne sont pas encore remplies avec l'Algérie. Q.O.: L'Algérie et l'UE ont créé ensemble l'année dernière le sous-comité pour le dialogue politique. Les discussions dans ce cadre apporteraient-elles des nouveautés dans les relations bilatérales ? Si oui, pourriez-vous nous les préciser? C.Ashton: Effectivement, l'année dernière en octobre 2011, s'est tenue à Alger la première session du sous-comité «Dialogue politique, droits de l'homme et sécurité». Lors de cette session, les discussions ont été très ouvertes et nous ont permis de passer en revue toute une série de sujets d'actualité internationale ou interne comme les réformes, les droits de l'homme, le cadre réglementaire régissant les associations, la loi sur les médias et beaucoup d'autres sujets. La mise en place de ce sous-comité, dont la deuxième session devrait se tenir avant la fin de cette année à Bruxelles, a permis de considérablement renforcer notre dialogue politique non seulement sur des questions d'actualité internationale mais aussi sur des sujets qui étaient, jusqu'à il y a quelque temps, considérés comme trop «sensibles». Q.O.: La crise en Syrie continue. L'UE aurait-elle d'autres propositions que celles qu'elle a déjà avancées pour en sortir ? C.Ashton: La prolongation et l'intensification de la crise en Syrie constituent une menace pour la stabilité de l'ensemble de la région. L'UE a réaffirmé son soutien sans réserve pour les efforts déployés par le diplomate d'origine algérienne M. Lakhdar Brahimi en sa qualité de Représentant spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue des Etats arabes pour la Syrie. Elle insiste sur la nécessité de cibler l'action internationale et régionale en vue de résoudre la crise syrienne au moyen d'une solution politique et demande aux principaux acteurs de la région et à tous les membres du Conseil de sécurité des Nations unies d'assumer leurs responsabilités et de soutenir les efforts de M. Brahimi. En attendant, nous sommes très préoccupés par la situation humanitaire sur le terrain, comme j'ai pu le constater personnellement il y a quelques jours lors de ma tournée dans des pays voisins.